Une restauration royale pour l’ancien siège de la justice de La Sagne
Le souvenir du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV est toujours présent dans l’Hôtel de commune de La Sagne (NE). Ce bâtiment, construit en 1694 et maintes fois transformé, retrouve vie grâce à la réouverture d’un restaurant et la création de quatre chambres d’hôtel. Le respect des anciens matériaux et des techniques du passé a guidé le chantier.
Crédit image: Philippe Chopard
L’ancien Hôtel de commune révèle son passé royaliste, notamment par son enseigne extérieure ornée d’une couronne en hommage à la visite du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV en 1840. Le clocheton a aussi été complètement rénové en galvanisé.
Roi de Prusse depuis 1840, Frédéric-Guillaume IV débute son règne par une visite de ses bons et – pas si loyaux – sujets neuchâtelois. Il a pu en apprécier l’accueil, notamment à l’Hôtel de Commune de La Sagne (NE), édifice construit en 1694. Aujourd’hui, cet immeuble, laissé à l’abandon il y a neuf ans, revit grâce à la ténacité de Jonathan Schmid, enfant du village et co-directeur d’Into Sàrl, une entreprise spécialisée dans la rénovation de bâtiments anciens.
« Cela me fait toujours mal au cœur de voir partir à la benne d’anciens matériaux de construction, traditionnels de nos contrées », soupire l’entrepreneur et propriétaire de l’Hôtel de Commune de La Sagne. Les techniques contemporaines de rénovation préservent pourtant au maximum le savoir-faire du passé, et cela a guidé le projet de réhabilitation de cet ancien haut lieu de l’histoire de la localité.
Crédit image: Philippe Chopard
La façade nord a été complètement reprise pour réparer ses fissures. Ses anciennes pierres de taille ont été boulonnées dans le béton. L’entrée par un ancien pont de grange donne accès aux chambres d’hôtel.
Mais il a fallu cravacher. L’hôtel se distinguait depuis des décennies par son mauvais état de conservation. En 1995 déjà, un projet de rénovation avait été présenté. En 2007, une intervention d’un élu de la commune l’avait relancé. Mais l’exécutif communal de La Sagne, alors propriétaire des lieux, avouait ne pas avoir les moyens d’entreprendre ces lourds travaux. En 2015, le bail des tenanciers du restaurant arrivant à son terme, les locaux ont été laissés à l’abandon. Jusqu’au rachat du bâtiment par Jonathan Schmid en 2018, avec la garantie donnée à la commune de le réhabiliter.
L’entrepreneur, malgré une expérience avérée dans le domaine de la rénovation d’anciennes fermes neuchâteloises et son goût pour les anciens matériaux de construction, ne savait pas ce qu’il allait découvrir dans le bâtiment qu’il se proposait de restaurer. Six mois d’expertises ne l’ont pas déçu. Le clocheton qui coiffe le bâtiment menaçait de s’effondrer. La statique laissait à désirer. La tâche était donc titanesque, et rendue difficile aussi par un financement compliqué. Il a fallu agir par petites touches, avec un projet de réhabilitation sans ciment et utilisant largement le bois.
Crédit image: Philippe Chopard
Les anciens éléments des murs et les boiseries d’époque se fondent dans les travaux de restauration.
Tout d’abord, la bâtisse a été complètement vidée. Les problèmes de statique décelés dans certains éléments de la poutraison et dans le clocheton ont été résolus par la construction d’une structure métallique à l’intérieur de l’enveloppe. Il s’agissait de reprendre le clocher soumis à quelques infiltrations d’eau et construit sans reposer sur la structure, et d’en répercuter la charge vers le bas. Une fois l’immeuble à nouveau consolidé, la remise à neuf de l’enveloppe, extérieure et intérieure pouvait commencer. Avec le démontage et le remontage de vraies parois neuchâteloises en bois.
Crédit image: Philippe Chopard
La salle à manger du premier étage a récupéré le plancher du deuxième, sur lequel un arrêté du XIXe siècle avait interdit la danse.
Par choix, Jonathan Schmid voulait une rénovation sans ciment. Les murs ont ainsi été recrépis à la chaux, comme cela se pratiquait dans les anciennes fermes neuchâteloises. Seule incartade, les fenêtres ont été remplacées pour assurer une meilleure isolation intérieure. Toutes ces interventions ont bénéficié des conseils des milieux cantonaux et fédéraux de préservation du patrimoine bâti. L’entrepreneur a tenu bon et fait face à des prix de matériaux plus élevés, pour restituer un emblème de la commune dans toute la gloire de son passé. La laine de bois a été privilégiée comme isolant en façade et les embrasures de fenêtre reconstruites avec du mélèze. « Il s’agissait de laisser respirer au maximum l’enveloppe, explique encore Jonathan Schmid. De ce fait, l’emploi de matériaux modernes doit être mesuré. La cellulose et la laine de bois sont idéales pour ce genre de travaux d’isolation ».
Trois parties,
trois rénovations
En fait, l’Hôtel de Commune de La Sagne est divisé en trois parties. D’abord,
la partie sud, sur quatre étages, rénovée avec la réouverture du restaurant sur
les deux premiers niveaux, et un appartement réservé aux tenanciers au-dessus.
« J’ai voulu y conserver les boiseries du XVIIIe siècle, tout en modernisant le
tout », indique Jonathan Schmid. Les locaux comprennent une cuisine
complètement modernisée en rez-de-chaussée et ventilée selon les normes en
vigueur dans la restauration. Les anciens éléments de maçonnerie sont partout
apparents. Le plancher en bois de la salle du premier étage a été repris de la
salle supérieure, qui abritait les réunions des autorités politiques locales
par le passé. Cet espace est aujourd’hui réservé au domicile des tenanciers du
restaurant et est accessible par une entrée privative à l’ouest du bâtiment.
Crédit image: Philippe Chopard
Espace réservé au fumage de la viande, le tuyé a été transformé en douche pour l’une des quatre chambres d’hôtel.
Passé la deuxième partie qui abritait une écurie et où se trouvent désormais les sanitaires du restaurant, le bâtiment se réorganise à l’arrière en un hôtel de quatre chambres accessibles par un ancien pont de grange. Cette transformation a nécessité l’emploi de béton, car la façade nord souffrait de fissures. Deux nouvelles dalles ont été posées. Toutefois, les pierres de taille qui la distinguaient ont pu être récupérées, notamment pour l’agrandissement de la porte d’entrée de l’hôtel. Elles ont été traitées puis boulonnées dans la nouvelle structure.
Des radiateurs
en fonte
Rénover, c’est aussi assainir. Outre toutes les mesures d’isolation énergétique
entreprises sur la structure du bâtiment, le chauffage a été raccordé au réseau
à distance développé par la commune de La Sagne. La partie restaurant est
chauffée par radiateur, avec l’installation d’éléments en fonte. L’hôtel
bénéficie pour sa part d’un chauffage au sol. Un échangeur a été installé pour
assurer la ventilation du vestibule et de la cuisine du restaurant.
Un bel exercice
de menuiserie
Les chambres d’hôtel offrent un confort trois étoiles. Pour l’anecdote,
l’ancien tuyé du bâtiment – espace réservé autrefois au fumage de la viande – a
été nettoyé de toute la suie qu’il contenait, pour être reconverti en douche
(très) haute de plafond… Les logements sont précédés d’un vestibule réaménagé
dans l’ancienne grange et équipé d’un escalier métallique. Le bois y distille
une ambiance chaleureuse, propice au repos après une journée de randonnée.
L’assemblage en plafond a aussi tenu compte de la forme complexe du bâtiment.
Un joli exercice de menuiserie !
Crédit image: Philippe Chopard
Le logement des tenanciers du restaurant bénéficie d’une entrée indépendante surmontée de la date de construction du bâtiment.
Cette réhabilitation s’inscrit aussi dans le développement touristique de la commune et de sa vallée. L’offre hôtelière est axée sur des activités en pleine nature – randonnée ou ski de fond, sans oublier de proposer un hébergement aux entreprises des environs. La Sagne revient de loin. En 2015, date à laquelle l’Hôtel de Commune a fermé ses portes, le village risquait de ne plus proposer d’établissement public. Le nouveau restaurant est ouvert depuis une année, et l’hôtel s’apprête à développer ses activités.
Revenir au passé, c’est encore évoquer la riche histoire de ce bâtiment. Etablissement public, cabaret, salle de justice, siège de l’autorité politique locale, l’Hôtel de Commune de La Sagne a tout vécu. Et la venue de Frédéric-Guillaume IV en 1840 est rappelée aujourd’hui par le nouveau clocheton restauré en galvanisé, ses cadrans repeints en bleu et l’enseigne du bâtiment coiffée d’une réplique de la couronne posée en mémoire de cette prestigieuse visite. Dans un fief qui allait refaire parler de lui seize ans plus tard, comme base de départ de l’insurrection royaliste avortée de 1856…