10:33 TECHNIQUE

Sciure, calcaire, cendres de bois et ciment pour un nouveau béton

Écrit par: Philippe Chopard
Teaserbild-Quelle: iTEC Fribourg

Dans une discrétion toute relative, des chercheurs de l’Institut des technologies de l’environnement construit (iTEC) de la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture de Fribourg mettent progressivement au point un nouveau béton baptisé WooCon. Le matériau allie la souplesse du bois, sous forme de sciure et de cendres, à la rigidité du filler de calcaire et du ciment. Ce « béton de bois » est encore en phase de tests, pour ouvrir de nouvelles pistes à une construction toujours plus écologique.

Béton de bois 1

Crédit image: iTEC Fribourg

Le nouveau matériau a déjà été testé sur des structures porteuses de 8 m.

Bois et béton sont complémentaires. Ils sont développés en parallèle, mais cela n’empêche pas la recherche d’envisager de les fusionner dans la production d’éléments de construction. La souplesse du premier et la rigidité du second se marient donc dans un programme de recherche mené par l’Institut des technologies de l’environnement construit (iTEC) de la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture (HEIA) de Fribourg. Avec pour objectif encore lointain de proposer à l’industrie un béton de bois.

Placées sous la direction du professeur Daia Zwicky, les recherches en vue de produire un tel matériau pour la construction sont encore au stand des tests d’échantillons. Depuis 2012, l’équipe fribourgeoise tente de tirer le meilleur profit de diverses expériences menées depuis plus d'un demi-siècle au sein de son école.

« A l’origine, dans les années 1970, un programme de recherche national a voulu promouvoir le bois dans la construction, explique Daia Zwicky. Cela dans un contexte où le béton régnait en maître absolu. Le bois, par sa souplesse, offrait déjà la possibilité de développer des éléments de construction mixtes. »

Fusionner le bois et le béton est au centre des recherches depuis longtemps. Le premier matériau est souple, mais trop léger. Le second est trois fois plus rigide, présente une isolation phonique bien meilleure et résiste mieux aux vibrations. L’idée de départ était donc de combiner les deux pour en vanter toutes les propriétés. « Il ne fait aucun sens de couler du béton lourd sur des matériaux trop légers, souligne encore Daia Zwicky. Nous voulions dès lors réduire sa masse tout en gardant les avantages d’un béton destiné à être coulé. »

Les premiers essais de béton de bois ont mêlé de la sciure à un ciment Portland. Puis, les chercheurs fribourgeois ont ajouté du carbone actif pour accélérer la prise. En pure perte, car le coût supplémentaire ne se justifiait pas. Une deuxième génération d’échantillons a combiné du filler de calcaire, de la sciure, du sable et du ciment Portland. Les chercheurs n’en étaient toujours pas satisfaits, même s’ils ont constaté du progrès dans les secteurs de la résistance et de la rigidité du béton de bois  ainsi obtenu.

Béton de bois 2

Crédit image: iTEC Fribourg

Les chercheurs fribourgeois ont testé plusieurs générations d’échantillons avant de faire leur choix. Ils ont même recouru à l’emploi de matériaux organiques, comme des noyaux de cerise.

« Nous avons donc opté pour une troisième génération, plus exotique », explique Daia Zwicky. Au filler de calcaire et à la sciure, nous avons incorporé des agrégats d’argile, du verre expansé et enfin des matériaux  organiques comme des pépins de raisin ou des noyaux de cerise. Imaginez la tête du fournisseur quand nous lui avons commandé 50 kg de noyaux… »

Les résultats se sont révélés plus probants, toujours en termes de résistance et de rigidité. Même si les quantités de matériaux organiques utilisées ne permettent pas une production industrielle de ce béton de bois. Il y a un an et demi, les chercheurs ont donc remis l’ouvrage sur le métier, en produisant des pellets à partir de sciure, de cendres de bois, de ciment et de filler de calcaire. Et les échantillons ont permis de passer à une phase de tests plus approfondie. L’équipe de Daia Zwicky cherche à évaluer à la fois les propriétés structurelles de ce nouveau béton de bois et ses propriétés thermiques, pour l’isolation et le stockage.

Pellets pour le recyclage
Les pellets ainsi produits possèdent en outre d’autres avantages. Ils permettent le recyclage des matériaux par recours à l’économie circulaire. Le béton de bois pourra ainsi servir à la construction de structures porteuses. « Toutefois, il faudra toujours du béton traditionnel pour les fondations d’un bâtiment et les infrastructures », estime Daia Zwicky. Notre matériau mixte, baptisé WooCon (de wood et concrete), ne semble convenir pour le moment qu’à des éléments de construction de taille modeste. Même si nous avons déjà testé sa résistance sur des structures de 8 m de portée. »

Béton de bois 3

Crédit image: iTEC Fribourg

Pour le moment, ce nouveau béton semble convenir surtout à des éléments de mur.

Le WooCon a déjà démontré ses vertus dans la fabrication d’éléments de murs. Mais l’équipe fribourgeoise n’entend pas accélérer son rythme de recherche pour en assurer des débouchés industriels. « Nous avons encore trop peu avancé pour nous lancer dans des partenariats avec l’industrie, souligne encore le professeur fribourgeois. Si un grand groupe de construction devait venir sonner à la porte de mon bureau, je prendrais vraisemblablement  un avocat pour sauvegarder l’intérêt de nos investigations. Nous sommes des chercheurs, pas des producteurs. »

Maîtrise en laboratoire avant tout Daia Zwicky ne veut pas précipiter les choses. « Commençons par bien maîtriser les propriétés du WooCon en laboratoire avant de nous lancer l’échelle industrielle », répète-t-il. Le programme de recherche démarré en 2012 se poursuit donc selon ses possibilités de financement. Cela sans échéance précise. Il n’en reste pas moins que ce nouveau béton de bois propose d’autres pistes au monde de la construction. « Construire en bois, c’est bien, souligne le professeur. Nous avons calculé qu’il est possible d’extraire 2 millions de mètres cubes de bois par année pour exaucer la demande de la construction tout en préservant la forêt suisse. Toutefois, faire une bonne construction  en béton peut se révéler plus écologique qu’un mauvais recours au bois. C’est dans cette perspective que nous proposons de fusionner ces deux matériaux. Nous en cherchons les meilleures interfaces. »

Béton de bois 4

Crédit image: iTEC Fribourg

Les tests en laboratoire utilisent notamment la compression pour extraire les propriétés du béton de bois.

L’iTEC n’est pas seul dans la recherche de ce béton de bois. D’autres chercheurs ont depuis longtemps élaboré et produit des matériaux similaires, notamment pour les plafonds des parkings souterrains. « Nous voulons fabriquer un béton qui puisse être coulé de préférence sans autocompactage », souligne encore Daia Zwicky. Le caractère encore confidentiel des recherches de l’iTEC fait écho notamment en France, avec un développement plus massif et nettement plus industriel de bétons fabriqués par incorporation de matériaux ligneux. La filiale française du groupe Holcim vient ainsi de conclure un partenariat avec une entreprise spécialisée dans ce domaine. D’autres sociétés françaises s’y mettent aussi. Le bois et le béton, si complémentaires depuis des décennies, vont ainsi pouvoir se marier, et pas seulement au niveau des éléments de construction…

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