08:05 TECHNIQUE

Neuchâtel: construction du maillon manquant de l’A5

Situé entre la falaise de la rive Nord du lac de Neuchâtel et ce dernier, le futur tronçon de l’autoroute A5, constitué notamment par le tunnel de Serrières, prend forme. Sa mise en service à la fin de l’année 2013 permettra de canaliser les flux de trafic des quelques 45 000 véhicules qui traversent chaque jour ouvrable cette zone à haute densité d’habitations.

Unique maillon manquant de l’A5 entre Yverdon-les-Bains et La Neuveville, le tronçon reliant Serrières à la porte Unique maillon manquant de l’A5 entre Yverdon-les-Bains et La Neuveville, le tronçon reliant Serrières à la porte ouest de Neuchâtel, constitue un chantier titanesque à l’étroit depuis les premiers travaux préparatoires de 2008. Estimé à 220 millions de francs, ce nouvel axe de circulation devrait être mis en service à la fin 2013. Sa colonne vertébrale est formée par un tunnel d’une longueur d’environ 800 m, excavé en souterrain dans des roches calcaires, partiellement sous le niveau du lac. Dernier grand ouvrage de l’autoroute A5 réalisé sur sol neuchâtelois, il vise à assurer la continuité autoroutière sur le territoire, tout en protégeant les zones résidentielles voisines des nuisances sonores, en facilitant la desserte de la zone industrielle et en favorisant l’accès au lac pour les riverains de Serrières.

Tunnel de 800 mètres

Le projet englobe également de nombreux ouvrages annexes: des tranchées couvertes d’accès à chaque extrémité du tunnel, le giratoire de la demi-jonction de Neuchâtel-Ouest, ainsi que le réaménagement de la route cantonale prévue sur le tracé de l’ancien tronçon. L’ouvrage d’art est constitué d’une double galerie souterraine circulaire. Le système porteur final de l’ouvrage comprend un revêtement annulaire de 35 cm d’épaisseur localement armé et muni d’une étanchéité périphérique complète. Ce concept structurel présente plusieurs avantages. «Les tubes travaillent en voûte et n’ont donc pas besoin d’armatures. De plus, la section circulaire des tunnels permet d’éviter de devoir drainer les massifs en phase d’exploitation et de mieux reprendre intégralement les pressions d’eau des nappes lacustres et fissurales qui caractérisent le site situé en dessous des eaux du lac», explique Jean-François Vullioud, ingénieur et chef de projet du tunnel, pour le compte du groupement Grease (GVH St-Blaise SA, BG Ingénieurs Conseils SA et FMN Ingénieurs SA). Les deux tunnels présentent un diamètre intérieur de 10,8 mètres dans lequel sont prévues deux pistes de circulation de 3,875 mètres de largeur. Souhait de l’office fédéral des routes, la typologie circulaire du tunnel rend possible l’aménagement de deux galeries techniques en dessous des chaussées pour y faire courir tous les câbles et autres éléments vitaux pour le bon fonctionnement des infrastructures du tunnel. En phase avec les directives en matière de sécurité, chaque tube sert de chemin de fuite à l’autre tube. Ainsi, une galerie de liaison carrossable aménagée à mi-chemin de l’entrée et de la sortie du tunnel pour le passage des véhicules d’entretien et d’interventions urgentes et 2 galeries de liaisons piétonnières relient les 2 tubes.

Début de l’excavation: avril 2009

Les travaux d’excavation du tunnel ont démarré par la calotte (partie supérieure du tube) en avril 2009 à partir de l’entrée ouest du tunnel (portail d’Auvernier), sous la falaise du Grand-Ruau. Par le biais d’une haveuse, sorte de grosse fraise équipée de pics en acier à forte résistance, avec une vitesse d’avancement de l’ordre de 5 m par jour en moyenne. «Nous avons privilégié cette solution plutôt qu’un tunnelier qui se serait avéré plus onéreux compte tenu de la faible distance de percement», précise l’ingénieur civil. Une fois cette première phase d’excavation achevée, la haveuse s’est concentrée sur la tranche médiane, puis la partie inférieure de la galerie. «La première partie du tunnel est située dans une zone résidentielle avec des fondations d’habitations qui ne sont qu’à quelques mètres de la voûte. Dans cette zone critique, nous avons posé un cintre métallique après chaque mètre d’excavation afin d’étayer la voûte. Autre zone délicate, la calotte Sud depuis Serrières prend place sous les immeubles Isabelle de Charrières, avec une couverture de rocher très faible et une distance de seulement 5 m des fondations. Nous avons donc opté pour une attaque à l’abri d’une voûte parapluie réalisée en roche fracturée», poursuit l’ingénieur civil. Tout le béton projeté à été renforcé par des fibres PE. Ensuite, une étanchéité intérieure, par double feuille de 3mm d’épaisseur, a été posée. Sur cette dernière, un anneau en béton assure une bonne reprise de la poussée d’eau. «Pour les ouvrages situés sous le niveau des eaux, il fallait quelque chose qui appuie sur l’étanchéité pour reprendre les pressions hydrostatiques et assurer la stabilité de l’ensemble», relève le spécialiste. La plupart des matériaux excavés lors du creusement des deux galeries ont été concassés et traités sur une crique provisoirement remblayée à l’ouest de l’usine de Philip Morris. Une partie d’entre eux sera réutilisée pour former le remblai des tranchées couvertes et à l’aménagement final des portails. Le reste des matériaux d’excavation est acheminé par barges sur le site de Juracime SA et intégré au processus de fabrication du ciment

Deux tranchées couvertes

Si les travaux de génie civil arrivent à terme dans le tunnel de Serrières – il reste à poser les peintures sur les parements, à équiper les niches et finir les enrobés - dans la zone des portails est et ouest par contre, l’activité des chantiers est intense. Une soixantaine d’ouvriers travaillent quotidiennement sur le site. Du côté d’Auvernier, les travaux ciblent d’une part la finition de la tranchée couverte et, de l’autre, la réalisation de différents ouvrages en béton qui se trouvent entre la tranchée et la fin du tronçon, sur environ 300 m. «D’ici la fin de l’année prochaine, toute la partie génie civil sera terminée. Nous allons introduire les flux de circulation dans les deux tubes, ce qui nous permettra de libérer les voies utilisées actuellement pour le passage du trafic routier. Nous pourrons ainsi détruire les restes du pont de Fleurette et mener, en parallèle, un remodelage du terrain qui nécessitera l’apport d’une certaine quantité de matériaux pour recréer une bretelle de sortie», détaille Jean-François Silagy, technicien et conducteur de travaux pour le compte du groupement Grease. Côté Serrières, la tranchée couverte est en phase d’être achevée. Reste à terminer la couverture de la future route cantonale, le local technique du tunnel, ainsi que divers aménagements annexes.

La gestion des eaux

Le principal défi du vaste projet réside dans la gestion du niveau des eaux sur le site. Pendant la phase de chantier, les fouilles, sensiblement plus bas que le niveau des eaux du lac, sont ceinturées par des palplanches. Ces dernières créent un écran vertical qui permet de réduire l’emprise des terrassements, puisqu’il n’y a pas besoin de créer de talus, et qui offrent une réduction très forte de la perméabilité. Les quelques volumes résiduels d’eau étant évacuables par pompage. Une autre difficulté, surtout à la hauteur d’Auvernier, repose dans le fait que pratiquement chaque ouvrage annexe ne peut pas être construit en une seule phase. «Du coup, on est contraint de réaliser les ouvrages par étapes, en avançant d’un côté pour pouvoir dévier un bout de l’autre. A titre d’exemple, il a fallu gérer la déviation d’un ruisseau enterré sur le profil autoroutier. Jusqu’au mois d’août dernier, l’eau passait dans le canal initial. La déviation a été construite sur le site en 5 étapes, sur 4 ans, au fur et à mesure des espaces disponibles, le tout dans un périmètre très exigu marqué par de grands écarts de niveau du sol», met en évidence Jean-François Silagy. Une fois terminées, les tranchées couvertes de l’autoroute qui sont aménagées aux deux extrémités des tunnels seront végétalisées et redonneront à l’ensemble de l’ouvrage un aspect verdoyant. Des mesures de protection prévoient, tant du côté d’Auvernier que de Serrières, des parois anti-bruit et un revêtement drainant phono-absorbant sur la surface roulante de l’autoroute.

DE LA GENÈSE DU PROJET AU DÉBUT DES TRAVAUX


La première variante du projet de l’évitement de Serrières remonte à 1973. Elle prévoyait le prolongement du contournement de Neuchâtel en tunnel sous la falaise de la bourgade neuchâteloise. Ce projet n’a pas été retenu pour des questions géologiques. En effet, le risque de traverser un accident géologique majeur constitué par le vallon de la rivière La Serrière était trop important. Cette dernière aurait pu être complètement canalisée par les tunnels qui auraient joué le rôle de drainage.. A la fin des années 80, les responsables du projet réalisèrent une étude comparative à partir de trois options distinctes: une prévoyant de faire traverser la route cantonale et l’autoroute à ciel ouvert, la deuxième en tranchée couverte et la troisième sous forme de tunnel sur l’entier du trajet. C’est la dernière option qui reçut l’agrément de l’Office fédéral des routes (OFROU). En 1996, d’autres variantes reviennent sur le tapis sous la houlette du Conseiller fédéral Moritz Leuenberger. Celui-ci veut réétudier l’ensemble des projets autoroutiers nationaux en cours sous l’angle technique et financier. Au total, huit projets sont examinés à la loupe. Celui du tunnel est préféré aux autres mais il s’achoppe à son prix trop élevé. Il est alors revu à la baisse et sa mise à l’enquête ne suscite aucune opposition. L’OFROU approuve donc cette variante en 1997. Deux ans plus tard, c’est au Conseil d’Etat d’en faire de même. Le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (Detec) l’accepte aussi en 2001 mais le subordonne à un moratoire de deux ans. En 2005, le Conseiller d’Etat écologiste Fernand Cuche nouvellement élu prend la décision d’étudier une autre solution passant par l’incitation des automobilistes à emprunter les transports publics. Une étude du bureau d’ingénieurs Ribi et associés de Genève démontra alors incontestablement que le report modal n’apporterait aucune amélioration substantielle et que le projet adopté constituait la meilleure solution et permettait à terme d’augmenter l’offre en transport public. Dès lors, le Conseil d’Etat donna son aval à ce projet en 2007 après quoi les travaux purent enfin démarrer en avril 2008. - (com/NE)

INTERVIEW EXPRESS d’Adrien Pizzera, ingénieur, chef du bureau de l’achèvement de la N5 du canton de Neuchâtel

Quels sont les points forts du nouvel axe autoroutier ?

Il améliore grandement la sécurité routière en séparant clairement les routes nationales A5 et cantonale RC5 qui sont actuellement confondues.. La mise en souterrain du trafic, sur le tronçon le plus chargé au niveau du canton, assure l’assainissement optimal du bruit routier. Du côté de Serrières, il permet de redonner aux habitants un bel accès au lac en remplacement du passage inférieur sous l’autoroute. Du côté d’Auvernier, il engendre un accès à la zone industrielle sud et la suppression d’un passage à niveau du train. De plus, l’assiette de la route cantonale actuelle qui longe la ligne de chemin de fer du Littoral, reliant la capitale à Boudry, va pouvoir être aménagée et végétalisée, tout en favorisant la mobilité douce.

Au niveau de la genèse du projet, il semblerait que vous ayez étudié de multiples tracés. Quels étaient les enjeux déterminants dans le choix définitif ?

Huit tracés différents ont été étudiés avant de s’arrêter sur la bonne solution. Certaines variantes ont imaginé couvrir les chaussées actuelles et faire passer la route cantonale sur cette tranchée couverte. Nous y avons renoncé, principalement en raison de la présence d’un réseau dense de canalisations sous les chaussées, mais aussi parce qu’il fallait maintenir le trafic autoroutier pendant l’ensemble des travaux. Ensuite, plusieurs variantes de tunnel se sont enchaînées, jusqu’au choix final. Si cette phase d’étude a été si complexe, c’est parce que le projet concentre plusieurs trafics dans un même endroit très exigu. Il fallait résoudre l’équation posée par le passage du trafic national et pendulaire, mais aussi du tram et des piétons dans un espace à cheval entre les rives du lac, un grand bâtiment industriel et la falaise de Serrières. En moyenne, près de 45 000 véhicules automobiles, tram et piétons traversent le site chaque jour. Les pics de circulation atteignent 4500 véhicules en fin d’heure de pointe. Avec un tel trafic, quatre voies de circulation devaient impérativement rester praticables durant l’ensemble des travaux sous peine de provoquer de sérieuses perturbations.

La planification des travaux a-t-elle été un casse-tête ?

Toutes les phases de chantier ont été développées bien en amont afin d’éviter de mauvaises surprises et le risque de devoir fermer des voies de circulation. Le plus complexe a été la gestion des nombreuses déviations permettant de libérer l’espace nécessaire au chantier des différents ouvrages. A titre d’exemple, nous avons remblayé provisoirement le port de Serrières et fait dévier le tram sur ce nouveau remblais, afin d’obtenir un gabarit suffisant pour faire passer temporairement quatre voies de circulation. Du côté d’Auvernier, la principale contrainte était le pont de Fleurette qui traversait l’autoroute. Après avoir servi pour évacuer les matériaux d’excavation des tunnels, il a été partiellement démoli. Le solde ne sera détruit que lorsque le trafic empruntera les tunnels. Au printemps prochain, nous déplacerons les voies direction Lausanne sur l’ancienne chaussée de la route cantonale de manière à pouvoir réaliser le raccordement à l’autoroute existante et à terminer les murs Sud de la tranchée couverte. La mise en service des tunnels ne signifie pas pour autant la fin des travaux. En effet, l’emprise ainsi libérée permettra la construction de certains ouvrages qui ne peuvent pas être construits actuellement.

Propos recueillis par Emilie Veillon

LES INTERVENANTS

■Maître d'ouvrage

Service des ponts et chaussées, de la République et Canton de Neuchâtel, Bureau de l’achèvement de la N5 (BAN5).

Mandataires

■Ingénieurs civils, géologue-géotechnicien, géomètre

GREASE, Groupement Etudes Auvernier - Serrières; GVH St-Blaise SA, St-Blaise; BG Bonnard & Gardel SA, Neuchâtel; FMNI, Corcelles; Jean-Pierre Thuillard, Neuchâtel; Bureau technique Norbert, géologue-géotechnicien, Lausanne; Géoexpert Système SA, géomètre, Colombier.

■Ingénieurs électromécaniques

CIEL, FMNI, Corcelles; BG Bonnard & Gardel SA, Lausanne; Maggia, Locarno.

Environnement et sciences aquatiques

AQUARIUS, Neuchâtel

■Architecture

Michel Waeber, Barberêche

■Bruit

PPlus, Neuchâtel

ENTREPRISES INTERVENANTES

■Marquage routier

Trauffer Marquage SA, Cheseaux sur Lausanne

www.trauffersa.ch

■Reverdissement et protection contre l’erosion

Hydrosaat SA, St. Ursen

www.hydrosaat.ch

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