« Moteur ! » Le rideau se lève sur le nouveau Capitole de Lausanne
Le mythique cinéma Capitole, si apprécié des Lausannois, a retrouvé tout son lustre d'antan. Restaurée et agrandie, cette magnifique Maison du cinéma, pilotée par la Cinémathèque suisse, propose désormais deux salles de 900 places au total. Mais aussi un espace de consultation des archives, une boutique, une médiathèque spécialisée et un café. Cette transformation ambitieuse a marié lourds travaux de génie civil et délicates touches de restauration des éléments patrimoniaux.
Crédit image: Jean-A. Luque
Rebaptisée Freddy Buache, le légendaire directeur et pionnier de la Cinémathèque suisse, la salle historique du Capitole a retrouvé tout son éclat. Mais sous ses atours patrimoniaux, elle est aussi équipée pour la projection numérique 4K et analogique, permettant de projeter des films à la fois sur pellicules 16 mm, 35 mm et également 70 mm !
Happy end ! L’histoire du Capitole, plus grande salle de cinéma de Suisse, a tous les ingrédients d’un bon film mélodramatique. Cela commence presque comme Cinéma Paradiso.
Construite en 1928 par l’architecte Charles Thévenaz, la salle a été conçue selon le modèle en vogue à l’époque, marqué par une importante mise en scène du lieu avec des fresques – aujourd’hui disparues –, des effets de lumière et bien sûr de grandsescaliers. C’était l’âge d’or du cinéma muet, avec une fosse pour les musiciens, et la présence d’un personnel nombreux. Le Capitole proposait en ce temps-là 1077 places assises.
Et puis est venu le temps des rénovations, en 1951 puis 1959, avec l'installation d'un écran large et la suppression de la fosse. Le paquebot du divertissement file au cours des décennies suivantes, défendu avec ténacité par sa dernière propriétaire, Lucienne Schnegg, connue du grand public comme « la petite dame du Capitole ». D’abord gérante, puis propriétaire des lieux, elle a maintenu – contre vents et marées – pendant plus de 50 ans le cinéma en activité, alors même que bon nombre de salles ont disparu, particulièrement au cours des années 1990. Surtout, elle a défendu les lieux en refusant de le modifier architecturalement pour le morceler en multiplexe. Mais les temps sont durs et le film prend des allures de Dernière séance.
13 ans d’études
et de travaux
C’est là qu’intervient Zorro, la Ville de Lausanne, qui accourt à la rescousse
et sauve le Capitole en le rachetant en 2010. Compte tenu de la vétusté du
cinéma, mais également de sa valeur patrimoniale incontestée, la
Municipalité a commandé en 2011 une analyse de l’état existant et un
diagnostic amiante. La Cinémathèque suisse qui s’est vu confier
l’exploitation a également mandaté en 2012 des bureaux d’étude pour établir
une étude de faisabilité, comparant différents scénarios de rénovation de
la salle et les contraintes d’exploitation en découlant. Lucienne Schnegg
s’est malheureusement éteinte en 2015,à l’âge de 90 ans ; elle n’aura donc pas
assisté à la renaissance de son Capitole.
En 2021, le chantier débute. Le projet architectural comprend deux axes d’intervention distincts : la restauration du bâtiment existant dans le respect de sa substance et la création d’une nouvelle extension en sous-sol. Ces deux parties, apparemment très différentes et indépendantes, sont cependant étroitement liées : l’emplacement de la nouvelle salle et de ses locaux annexes est dicté par les particularités du bâtiment existant, de son voisinage et de la nature du terrain.
Bien qu’érigé il y a presque cent ans, l’édifice présente un état de conservation remarquable. Toutefois, suite à la recrudescence de dysfonctionnements techniques, un assainissement complet est nécessaire. La rénovation repose sur deux principes d’intervention spécifiques. Les espaces historiques, caractérisés par la cohabitation de l’architecture du cinéma d’origine des années 1920 et des éléments, principalement décoratifs, modifiés lors de la transformation des années 1950, sont restaurés en conservant leur substance et leur identité. La nouvelle intervention – avec la Petite Salle sous la Grande Salle – s’intègre de manière contemporaine, sans chercher ni contraste forcé, ni mimétisme.
Crédit image: Jean-A. Luque
Le foyer du parterre garde son grand bar, seuls éléments avec les toilettes qui témoignent encore des équipements de 1928.
Après restauration, la surface globale s’élève à 2500 m², soit 800 m² de plus qu’auparavant. Ce qui permet d’aménager une salle de consultation des archives de la Cinémathèque suisse, une boutique, une médiathèque spécialisée et un café. Un ascenseur est également créé près de la place de l’ancienne caisse.
Ecrin de
travail exigu
Les interventions lourdes pour créer la nouvelle salle de cinéma ont été
limitées par l’exiguïté du site. En effet, l’impasse large de 5 m, qui longe le
côté ouest de l’immeuble, et les dimensions de la porte de sortie de secours
ont contraint les ouvriers à n’employer que des machines de taille réduite. La
dalle a été entièrement démolie. Le creusement et le bétonnage de la nouvelle
salle ont été particulièrement délicats, car il a fallu protéger les éléments
décoratifs historiques tels le plafond bleu et les capitonnages de velours
collés aux murs.
Chantier sous
surveillance permanente
Ce véritable chantier de travaux spéciaux et de génie civil dans un bâtiment
patrimonial a nécessité la réalisation d’enceintes de fouilles. Des pieux et
des ancrages ont maintenu l’édifice existant et sécurisé les bâtiments
voisins. Des mesures de vibrations et des contrôles ont été menés tout le long
de la réalisation de ces travaux.
Une fois la salle de projection en sous-sol construite et la nouvelle dalle de la salle historique réalisée, ce sont les travaux de restauration et de mise aux normes qui ont pris le relais. Un nouveau revêtement de sol a été installé, de même qu’une nouvelle ventilation, un système électrique flambant neuf et des sanitaires modernes dans un écrin historique. Bien sûr, les lieux ont été adaptés pour les personnes à mobilité réduite. En extérieur, le toit a été rénové, isolé et équipé de panneaux photovoltaïques qui alimentent notamment la pompe à chaleur dédiée principalement au rafraîchissement de la salle.
Restauré et agrandi, le Capitole est finalement prêt à reprendre du service. Désormais, cette Maison du Cinéma, pilotée par la Cinémathèque suisse, et ses deux salles de 750 et 150 places sont ouvertes au public depuis fin février. Les deux cabines sont équipées pour la projection numérique 4K et analogique, permettant de projeter des films à la fois sur pellicules 16 mm, 35 mm mais aussi 70 mm, un format qui fait son retour dans la Grande Salle du Capitole !
Crédit image: Jean-A. Luque
Unique concession à l'hygiène contemporaine, les savons muraux rotatifs jaunes qui surplombaient les lavabos des toilettes ont été abandonnés !
Les deux salles ont été baptisées pour faire honneur au passé. La nouvelle est dédiée à l’ancienne propriétaire historique du Capitole, « Mademoiselle » Lucienne Schnegg. Quant à l’enceinte historique, elle porte désormais le nom du légendaire directeur et pionnier de la Cinémathèque suisse, Freddy Buache. Happy end !
Enfin presque, car tous ces travaux ont un prix, qui est passé de 18 millions prévus initialement à 21,6 millions au final.