Les Chaux-de-Fonniers retrouvent leur Grand-Pont consolidé et végétalisé

L’acier et le béton font du nouvel axe urbain transversal de La Chaux-de-Fonds (NE) un ouvrage conçu pour durer près d’un siècle. Le nouveau Grand-Pont intègre aussi une promenade urbaine destinée aux piétons et aux trottinettes et divers aménagements paysagers. Il remplace aujourd’hui une construction qui connaissait de sérieux problèmes de statique, en plus de l’usure du temps.

Crédit image: Philippe Chopard

Le nouvel ouvrage se distingue par l’élégance de sa courbure. Il accueille toutes les formes de mobilité urbaine, de la voiture aux piétons en passant par les vélos.

Les Chaux-de-Fonniers ont retrouvé ces jours l’ouvrage d’art le plus fréquenté du canton de Neuchâtel. Le Grand-Pont rénové relie à nouveau l’avenue Léopold-Robert et le boulevard de la Liberté. En dix-huit mois de chantier, l’axe transversal urbain principal de La Chaux-de-Fonds s’est refait une beauté en acier Corten et en béton, pour transformer la mobilité en ville de manière très profonde. Et pour longtemps.

Le Service cantonal neuchâtelois des ponts et chaussées avait tout à craindre d’entreprendre de tels travaux de rénovation, en raison de leur complexité. Tout d’abord, le Grand-Pont enjambe les voies CFF, et le trafic ferroviaire de 86 convois quotidiens a compliqué la planification du projet et la coordination du chantier. Fort heureusement, explique Alain Koenig, chef de l’Office cantonal neuchâtelois des constructions et des aménagements routiers (OCAR), la coordination des travaux a été exemplaire. Notamment lorsqu’il s’est agi de gérer les rares fermetures ferroviaires et les aménagements des nouvelles lignes de contact et autres pylônes sous l’ouvrage.

Crédit image: Philippe Chopard

Les trois anciennes voies de circulation ont été réduites à deux pour améliorer la fluidité du trafic et permettre la création de bandes cyclables.

Ensuite, la circulation automobile – près de 13 000 véhicules par jour – a été déviée pendant dix-huit mois. Fort heureusement, les nombreux pendulaires ont su adopter les nouveaux itinéraires de déviation, notamment par la zone industrielle du sud-ouest de la ville et ses nombreuses entreprises. « Nous avons été très surpris de constater que les automobilistes ont vite intégré la fermeture de leur principal axe transversal », explique encore l’ingénieur. Reste à étudier comment ces derniers vont accepter le nouvel ouvrage.

Risque de déstabilisation avéré
L’ancien Grand-Pont de La Chaux-de-Fonds était un modèle de préfabrication dans les années 1970, composé de piles, de fondations, de poutres et de travées en béton juste assemblées par-dessus les voies. Après l’étude de deux variantes de rénovation, le Grand Conseil neuchâtelois a voté un crédit de 17 millions pour le remplacer. Les poutres longitudinales et les entretoises en précontraint étaient fortement corrodées et peu adaptées au trafic routier d’aujourd’hui. « Nous sommes passés en quelques années de camions de 28 t à des poids lourds de plus de 40 t », explique encore Alain Koenig. Les appuis fixes situés au nord étaient si dégradés que l’ancien pont ne répondait en réalité que dans son sens longitudinal, selon le fonctionnement d’un ouvrage flottant. Les efforts portés sur les piles ont même provoqué une rupture de l’appui fixe de la culée nord il y a quelques années. Les mesures prises à l’époque de libération au nord et de blocage des appuis au sud se sont révélées insuffisantes. Le tablier risquait en effet d’être complètement déstabilisé si rien n’était entrepris.

Crédit image: Service cantonal neuchâtelois des ponts et chaussées

Les nouvelles piles de béton sont coiffées d’une structure en acier Corten pour combattre la corrosion.

C’est le souci de maintenir les principes de fabrication originelle de l’ouvrage qui a motivé l’Etat neuchâtelois à adopter une technique de chantier parfois spectaculaire. La pose des 200 t du plus long élément métallique de l’ouvrage a notamment été effectuée en décembre dernier au cours d’une seule nuit. Il avait neigé la veille, ce qui a compliqué les opérations. «  Les goujons de cette pièce étaient en effet recouverts de neige, et il a fallu les nettoyer tant bien que mal au balai. De plus, la capacité de levage de la grue était à sa limite supérieure. Mais la pose s’est effectuée sans problème majeur  » poursuit encore le chef de l’OCAR.

Le nouvel ouvrage est fait d’acier Corten et de béton. « L’emploi du métal se justifie pour des raisons de sécurité et de stabilité, détaille encore Alain Koenig. Nous sommes en effet au-dessus de voies CFF à fort trafic, et cette mixité de matériau est communément répandue dans les ouvrages d’art. » Le Grand-Pont version 2024 a gardé une longueur inchangée de 145 m pour une largeur portée de 17,5 à 20 m. Il repose sur des pieux forés tubés d’un diamètre variant entre 80 cm pour ses culées et 120 cm pour ses piles.

Crédit image: Philippe Chopard

Le pont est divisé longitudinalement pour accueillir une promenade urbaine végétalisée de 7,5 m de largeur.

Le Grand-Pont est toujours un ouvrage flottant décomposé en deux parties sur sa largeur, l’une pour les deux voies de circulation et l’autre pour sa promenade urbaine dédiée à la mobilité douce. En guise de clin d’œil architectural, les piles en béton armé sont liées de manière monolithique à des banquettes sur pieux, à la manière des pilotis dessinés par Le Corbusier. Lors de la construction, deux pieux ont subi des infiltrations d’eau, ce qui a délavé leur béton. « Nous avons pallié ce problème, heureusement très localisé, par la pose de tiges métallique et des injections », indique l’ingénieur.

Crédit image: Philippe Chopard

Côté centre-ville, le parapet est presque totalement vitré et ses mains courantes sont munies de lampes LED.

Outre les éléments de l’ouvrage, l’Etat a conservé les culées d’origine, tout en les dotant de nouveaux murs. Toutefois, le nombre de piles a été ramené de six à quatre. Le tablier est composé d’une structure porteuse en acier auto-patinable ( pour ralentir la corrosion), connectée à une dalle en béton armé. Il est muni de deux caissons fermés et trapézoïdaux, raidis par des diaphragmes au droit de chaque pile et culée. Ces derniers sont munis de raidisseurs au droit de l’appareil d’appui et des points de vérinage. Des consoles et des entretoises sont posées tous les 5 m dans le sens longitudinal. Elles sont recouvertes par une tôle de coffrage de 12 mm d’épaisseur. Cela a permis d’éviter tout recours à un chariot de coffrage pour le bétonnage de la dalle. En outre, des augets longitudinaux en forme de U ont servi au bétonnage de la dalle de roulement de 25 cm d’épaisseur. « Comme nous sommes à 1000 m d’altitude, ces travaux de béton entamés en février dernier n’ont pas été de tout repos, glisse Alain Koenig. Fort heureusement, le dernier hiver n’a pas été trop rigoureux à La Chaux-de-Fonds ».

Pour sa partie non porteuse, le Grand-Pont de La Chaux-de-Fonds est muni d’un nouveau parapet presque totalement vitré du côté est. Les garde-corps de béton à l’ouest ont pour principale fonction d’éviter les éventuelles chutes de véhicules sur les voies CFF situées en contrebas. Pour ne pas se cantonner à une simple rénovation, la Ville de La Chaux-de-Fonds et le canton ont mandaté un architecte. Ce dernier a donc conçu un projet de pont en forme de vagues de béton, visibles notamment sur les aménagements du tablier. Le résultat est saisissant par son élégance et sa courbure.

Promenade urbaine
Le nouveau pont accueille, et c’est une nouveauté, un espace pour les piétons et les vélos sous la forme d’une promenade urbaine de 7,5 m de large donnant sur le centre-ville. Des bacs en acier Corten plantés d’essences indigènes et diverses pièces de mobilier urbain, notamment en bois, en font un espace de destination et de délassement. Bien loin de la fonction de simple passage routier remplie jusqu’alors par l’ancien pont. L’éclairage du nouvel ouvrage est assuré par des luminaires LED intégrés dans les mains courantes des trottoirs et de candélabres disposés le long de la promenade.

Crédit image: Philippe Chopard

Au nord de l’ouvrage, la Ville transforme un ancien carrefour en giratoire.

Les travaux s’achèvent selon le planning initialement établi. La Ville prendra possession du Grand-Pont en le troquant avec le canton par l’ouvrage communal des Eplatures, situé plus à l’ouest. Un échange qui prépare la réalisation du contournement routier du sud de la ville, en mains de l’Office fédéral des routes (Ofrou). Ce dernier va l’envisager une fois qu’il aura terminé la traversée routière du Locle.

Le Grand-Pont pèse près de 1000 t, soit plus lourd que son prédécesseur conçu pour un trafic moins important qu’aujourd’hui. 1500 m³ de béton composent ses banquettes, culées, piles et dalle, alors que 750 m³ sont réservés aux aménagements des trottoirs, parapets et autres pièces de mobilier urbain.

Avec ses deux voies dévolues à la circulation automobile et aux vélos – soit une de moins qu’à l’origine –  et son espace réservé à la mobilité douce – piétons et trottinettes, il ne remplira plus le même rôle que son prédécesseur. Une mutation voulue par les autorités de la Ville qui cherchent à réduire le trafic des voitures sur son artère principale de l’avenue Léopold-Robert !