La maçonnerie médiévale retrouve sa noblesse au château de Grandson
Les restaurateurs de monuments recourent aux techniques de maçonnerie les plus anciennes pour faire revivre le passé. Expert-consultant en crépis et en maçonneries anciennes, Roger Simond a piloté la rénovation de l’enveloppe du château de Grandson. Déjà à l’époque, les constructeurs médiévaux privilégiaient l’économie de proximité. Quoiqu’un peu forcé par les modestes moyens de transport de l’époque.
Crédit image: Fondation du Château de Grandson, Rémy Gindroz
Les murs du complexe et son cellier se distinguent par la grande diversité des matériaux utilisés au cours de leur construction.
Avec sa silhouette massive, le château de Grandson (VD) donne l’image d’une construction figée pendant le millénaire de son existence. Pourtant, s’approcher de ses murailles et pénétrer dans la cour intérieure permettent de découvrir la diversité des matériaux utilisés pour sa construction et ses multiples travaux d’entretien, au fil des siècles. Le chantier d’assainissement de son enveloppe ouvre ainsi le livre des techniques de maçonnerie utilisées depuis le Moyen Age.
Crédit image: Philippe Chopard
Roger Simond ne pouvait concevoir que la production locale de chaux vive pour lier les nouveaux crépis, comme au Moyen Age.
« Regardez cette grande diversité de matériaux, de parements et de crépis, explique Roger Simond, expert-consultant reconnu en maçonnerie et en crépis anciens. Nous sommes là pour conserver l’Histoire dans la pierre par un entretien réduit au minimum. Nous voulons laisser ces murs dans leur jus.»
Matériaux peu
transportables
Démarré il y a une quinzaine d’années, l’assainissement du château de Grandson
a ressuscité d’anciennes techniques de maçonnerie. Des procédés qui ont conduit
Roger Simond et les architectes à privilégier la fabrication des mortiers in
situ. Comme cela se faisait au Moyen Age, qui ne disposait pas des moyens
actuels de transport des matériaux. « Ils prenaient la pierre à proximité »,
explique encore l’expert. Faute de ciment, le liant était obtenu par la
fabrication de chaux vive à partir de calcaire, via deux processus progressifs
de calcination et d’extinction. Soit une réaction chimique naturelle d’un
matériau extrait dans les carrières locales pour l’obtention d’une forme de
pâte. Et si la pénurie de moellons de calcaire se faisait sentir, les
constructeurs médiévaux utilisaient d’autres roches, dont le tuf facile à
façonner.
Calcaires et
moraines
Le château de Grandson est donc construit avec un amoncellement de matériaux
disparates, mais tous témoins de leur époque. Cette diversité s’explique
aisément. Le terrain est en bordure du Jura riche en calcaire et du lac de
Neuchâtel et ses apports morainiques. La restauration de la forteresse
millénaire en a évidemment tenu compte, non seulement dans ses ornements
décoratifs, mais aussi dans son enveloppe. Mais il s’agit aussi de respecter
d’inestimables atouts architecturaux. C’est pour cette raison que Roger
Simond et les architectes ont opté pour un entretien « ad minima » des façades.
Crédit image: Philippe Chopard
La restauration de ce mur a laissé des interstices pour que la végétation et la biodiversité puissent y élire domicile.
Les principes de l’économie de proximité étaient donc en vigueur justement par le fait que les matériaux étaient difficilement transportables. La fabrication des crépis sur place était la règle. Les techniques modernes de restauration utilisées à Grandson ne font que reproduire les procédés auxquels l’entretien a eu recours au fil de son histoire, jusqu’à l’apparition des premiers ciments.
Fonctionner à
l’enthousiasme
Pour le maçon d’aujourd’hui, ces travaux de rénovation demandent surtout de fonctionner
à l’enthousiasme. « Je leur dis d’abord d’oublier tout ce qu’ils ont appris sur
le sujet, souligne Roger Simond. Il s’agit de travailler dans le souci de
respecter le bien construit et ses matériaux d’origine, tout en prenant le
risque de se tromper. L’intervention doit pouvoir être supprimée sans altérer
la substance historique. J’appelle cela la réversibilité. Nous intervenons à un
moment donné, et qui peut dire que nous avons raison sur le long terme ? Mes
successeurs auront le droit de souligner les éventuelles erreurs que nous
pouvons toujours commettre. Mais je crois que nous sommes globalement dans le
vrai tant que nous respectons ce que les constructeurs et restaurateurs du
passé nous ont laissé. »
Cette approche bouleverse néanmoins les modes actuels de construction. A priori, il est en effet plus facile d’appliquer un ciment moderne pré-mélangé sur un mur ancien. Ce faisant, Roger Simond montre que l’aspect originel risque de disparaître. C’est pour cette raison que la restauration de monuments historiques doit s’affranchir de la modernité. « Contrairement à ce que tout le monde pense, utiliser des techniques anciennes de maçonnerie ne coûte pas plus cher, souligne Roger Simond. De plus, les études menées sur les monuments montrent que les crépis les plus récents peuvent aussi être les plus friables et se dégrader plus rapidement. »
La modernité
peut être friable
Les murs restaurés du château transpirent le respect des matériaux utilisés
tout au long de son histoire. Même le ciment naturel à prise rapide « prompt »
– ancêtre du ciment Portland - utilisé sur la base de certaines façades
de la cour intérieure au XIXᵉ siècle a été l’objet d’autant d’attentions que celles
accordées aux moellons médiévaux et leur ancien badigeon. De même, il a fallu
que les murs respirent. C’est pour cette raison qu’ils ne sont pas crépis de
manière homogène. De petits trous laissés en façade peuvent ainsi abriter
de la microfaune et de la végétation.
Crédit image: Atelier Roger Simond
Les maçons peuvent s’initier aux techniques ancestrales en prenant part à une formation continue une fois par année à Colombier (NE).
Le recours aux anciennes techniques de maçonnerie revitalise donc l’économie de proximité, tout en lançant des défis exaltants aux professionnels de la construction. Roger Simond partage ainsi son expérience – 2400 dossiers archivés pour la restauration de biens historique durant sa longue carrière – avec les maçons et architectes du Centre de formation professionnelle neuchâtelois, secteur des métiers du bois et du bâtiment, à Colombier (NE). Avec à la clé, la réalisation annuelle d’un prototype en six jours. « Les participants à ces ateliers sont très motivés et montrent de belles choses », se réjouit-il. Et l’accueil enthousiaste que le grand public réserve à ces anciennes techniques vient renforcer sa démarche.
Une rénovation de très longue haleine
Quelle: DOM Architectes Associés
Les anciennes collections seront mieux mises en valeur dans trois ans, avec le réaménagement du cellier.
Entre les premiers seigneurs de Grandson et leur château actuel, un millénaire s’est écoulé au rythme d’un entretien régulier. Mais c’est en 2008 que ses actuels propriétaires, à savoir la Fondation SKKG de Winterthour et son exploitant, la Fondation du château de Grandson (FCG), ont pris la juste mesure de la santé du monument pour lancer leur projet de restauration. Une inspection de l’état du château a en effet révélé d’importantes faiblesses structurelles. Et c’est à la communauté d’architectes Amsler & Fischer Montavon qu’est revenue la mission de mener les travaux de la rénovation de l’ensemble.
Huit ans pour
stabiliser l’enveloppe
Le chantier a démarré en 2011, et la réfection des murs et crépis s’est achevée
huit ans plus tard. Les travaux ont permis de stabiliser l’enveloppe de la
forteresse, dont les murs atteignent 40 m de hauteur. Actuellement, ce
sont les intérieurs qui sont en train d’être assainis. Le chantier a permis au laboratoire
d’archéologie lausannois Archeotech de découvrir des trésors oubliés, comme des
peintures murales datant du XVIIe siècle, à l’époque où le château était en
mains des baillis bernois.
Les propriétaires ont depuis 1983 l’intention de faire revivre cette forteresse millénaire. Celle-ci a abrité dès les années 1960 un musée de vieilles voitures. Ce dernier est resté dans le cellier du château jusqu’en 2016. L’heure est venue de réadapter les locaux d’exposition pour mieux prendre la mesure de la richesse patrimoniale du lieu.
Longue
préparation
Depuis l’arrivée des propriétaires actuels, il a fallu encore presque trente
ans avant que les murs du château soient restaurés. Les deux fondations
partenaires ne sont pas pour autant restées inactives. Elles ont pu superviser
dès le début des années 1990 plusieurs interventions, comme la réfection des
murs de soutènement ou du châtelet. Depuis 2011, la SKKG a investi près de 50
millions de francs. Avec pour objectif de rouvrir le château le 2 mars 2026,
date du 550e anniversaire de la célèbre bataille qui a vu le duc de Bourgogne
Charles le Hardi perdre ses richesses. La SKKG et la FCG vont créer de nouveaux
espaces d’expositions temporaires et permanentes. Les cinq étages du bâtiment
seront en outre équipés d’un ascenseur pour permettre leur visite par des
personnes à la mobilité réduite.