Lausanne prend le pari de la maîtrise de l’eau potable grâce au BIM
Pour traquer les micropolluants, la Ville de Lausanne va construire une usine de traitement flambant neuve. Une usine d’eau potable qui se veut une référence en Europe. Gérer cette construction à 82 millions de francs, qui jongle entre chimie et béton, est particulièrement complexe. Pour cela, les responsables du Service de l’eau ont plongé dans le BIM.
Crédit image: Juan Socas Architecte
Avec une capacité de production de plus de 100 000 m3 par jour, l’usine Saint-Sulpice II assurera entre 30 et 50 % de la demande en eau potable de la région lausannoise, qui compte environ 380 000 habitants. Le débit d’eau traitée passera de1 m3/s actuellement à 1,4 m3/s. Un gain de 40 %!
Un tiers de la production totale d’eau potable de la région lausannoise est assuré par l’usine de Saint-Sulpice. Mise en exploitation en 1971, elle est devenue obsolète et arrive en fin de vie. Certes, l’usine assure fidèlement sa mission ; elle pompe l’eau dans le Léman à 1 km du rivage et 50 m de profondeur pour la traiter.
Néanmoins, elle ne correspond plus aux attentes actuelles en termes de traitement et de fiabilité. Les bassins de filtration au sable de quartz sont incapables de venir à bout des micropolluants et autres résidus chimiques (médicaments, perturbateurs endocriniens et produits phytosanitaires).
« Construire une usine capable de traiter les micropolluants, s’exclame Christophe Mechouk, chef de division au Service de l’eau de la Ville de Lausanne, la réflexion a été lancée au tournant du millénaire. Elle s’est accélérée en 2014. Pendant quatre ans, nous nous sommes consacrés à des essais pilotes et des tests technologiques. Et le résultat, c’est que nous allons construire l’usine d’eau potable la plus performante de Suisse, voire d’Europe. Une usine de référence ! »
Avec une capacité nominale de production de plus de 100 000 m3 par jour, l’usine assurera entre 30 et 50 % de la demande en eau potable de la région lausannoise, qui compte environ 380 000 habitants, dès 2026, pour les 20 prochaines années. Le débit d’eau traitée passera de 1 m3/s actuellement à 1,4 m3/s. Un gain de 40 % pour répondre aux perspectives de croissance démographique et pallier la baisse prévue de capacité des sources en été.
Rien ne
résistera à cette multibarrière
La production d’eau potable sera assurée par une filière multibarrière
innovante et évolutive. Le menu pour traiter la turbidité, les microorganismes
et les micropolluants est copieux. Et il faut avoir l’estomac bien accroché. En
entrée, l’eau subit une préfiltration pour enlever les larves de moules Quagga
et matières en suspension.
Crédit image: Juan Socas Architectes/Service lausannois de l'eau
La station sera une usine de référence en Europe. Pour venir à bout des organismes, virus et autres micropolluants, les spécialistes lausannois s’équipent aussi des techniques les plus avancées en matière d’oxydation ou d’adsorption avec du charbon actif.
Suivent ensuite une oxydation avancée (ozone + eau oxygénée pour casser les micropolluants), une étape d’adsorption avec du charbon actif pour annihiler micropolluants et matières organiques, puis une ultrafiltration qui affine la qualité de l’eau au niveau turbidité et la désinfecte pour venir à bout des organismes et autres virus.
Le liquide n’est pas encore au bout de ses peines. 10 à 15 % du débit doit encore subir une nanofiltration membranaire, dans le but d’améliorer les performances globales d’abattement des micropolluants. Ce procédé, très efficace, est encore peu utilisé en eau potable au niveau industriel et le sera pour la première fois en Suisse à Saint-Sulpice. Pour finir, avant de réinjecter l’eau potable, la nouvelle usine ajoutera une désinfection à la Javel pour obtenir un effet rémanent dans le réseau.
Le programme est sur la table. Encore fallait-il le mettre sous toit, marier technologies chimiques et architecture fonctionnelle. « En 2018, reprend Christophe Mechouk, un crédit de 82 millions a été voté par le Conseil communal de Lausanne. Nous avons lancé un appel d’offres auprès des entreprises de process. Il n’y a que quelques entreprises spécialisées dans ce domaine en Europe et elles possèdent des brevets fournisseurs. Notre choix s’est porté sur le consortium OTV Suisse, AMICS et IDEM Suisse. Ce n’est qu’une fois les équipements intérieurs définis que nous avons pensé aux murs. »
Le concours d’architecture et de paysage pour la construction de la nouvelle usine de production d’eau potable de « Saint-Sulpice II » a désigné comme lauréats les bureaux Juan Socas Architecte à Lausanne et MAR & BORIS à Bagnolet (France).
L’idée-force est de proposer un programme de 15 000 m2 de surface abritant le traitement des eaux dans un volume principal en L. Cette répartition compacte produit une organisation relativement économe en surface. La stratégie végétale complète l’ambiance de parc arboretum et renforce les qualités écologiques du lieu. Le projet propose de travailler avec une structure en béton armé et des façades revêtues d’un parement de terre crue.
Le projet est innovateur, complexe à souhait et – surtout – le chantier doit être orchestré de manière à préserver en permanence la production d’eau potable ! Pour cela trois phases de travaux sont prévues. D’abord, la construction d’une nouvelle usine, à l’est de celle déjà existante. Puis quand la nouvelle entité sera opérationnelle, la déconstruction de l’usine actuelle.
Et finalement, la construction d’un bâtiment consacré aux étapes d’oxydation avancée et d’adsorption sur charbon actif fluidisé (OPACARB FL ®) qui viendront assurer un filtre supplémentaire contre les micropolluants.
Crédit image: Juan Socas Architecte
Saint-Sulpice II va être construite sur la même parcelle que l’actuelle usine d’eau potable. L’installation complète devrait être achevée d’ici 2028.
Les services de l’administration publique font souvent appel à des entreprises générales ou totales pour mener à bien ce genre de projet délicat et multiple. Mais pour Christophe Mechouk, il était hors question de déléguer et perdre la maîtrise du projet :« Avec mon adjoint David Rannaud, ingénieur civil, nous nous sommes interrogés pour savoir quelle méthode de travail serait la plus efficace pour gérer un tel projet. Nous avons approfondi nos connaissances en BIM, pris des contacts, participé à des conférences. Et surtout nous avons suivi une formation de BIM Manager auprès de Mensch und Maschine. Nous avons aussi consulté les entreprises de process qui travaillaient déjà avec de la 3D. Mais nous nous sommes rendu compte qu’elles avaient des systèmes propriétaires et que cela pouvait se révéler compliqué d’exporter la maquette numérique et de la rendre lisible sur Revit. »
La maquette
numérique, pointe de l’iceberg
« Nous avons surtout pris le temps de bien réfléchir au BIM qu’on voulait,
insiste David Rannaud. La clé – et ce n’est pas le plus facile – c’est d’être
clair sur ce qu’on veut. Je peux vous assurer que notre manuel BIM est une
jolie bible avec plein de tomes. Nous avons une bonne documentation, avec de bons
procédés ; nous avons consacré beaucoup d’efforts à définir le langage commun,
une nomenclature précise pour avoir les bons dénominateurs d’équipements pour
tous les intervenants. Et je crois pouvoir assurer que tout le monde est content
de notre niveau d’encadrement. Tout le monde a aussi compris que la maquette
numérique sans compréhension est inutile. Elle n’est que la pointe de
l’iceberg. L’intérêt, c’est le traitement des données, la gestion des clashs. »
« Nous avons demandé à chaque mandataire d’avoir des personnes-clés capables de travailler en BIM et en Revit, reprend le chef de la division. Et tout le monde s’y est mis, même si le BIM de collaboration n’est pas encore une évidence en Suisse. Certains mandataires se croyaient bons, mais pour autant qu’on travaille comme eux. Ils ont dû s’investir pour être en conformité. De manière générale, on peut dire qu’il y avait des différences de maturité importantes par rapport au BIM selon les différents acteurs. Certains étaient très au point ; d’autres comme le paysagiste devaient tout apprendre et faire. »
Le Service de l’eau de la ville de Lausanne fait figure de pionnier dans les bureaux de l’administration publique. Il est le seul à posséder des licences pour travailler en BIM. Il a surtout su se former et s’entourer des bons spécialistes pour gérer son projet. BG Ingénieurs Conseil fait office de coordinateur BIM et technique ; Mensch und Maschine est toujours en appui pour offrir son expertise.
« Plusieurs collaborateurs, notamment les deux chefs de l’usine ont reçu des formations BIM, ajoute Christophe Mechouk. Il est indispensable qu’ils soient intégrés et capables de prendre la suite pour gérer son exploitation en BIM. Début 2022, nous sommes à la fin de la phase 31 SIA. Le bilan est très positif. Quantité de conflits ont déjà été gérés. On maîtrise les coûts et quand nous lancerons les appels d’offres, nous serons plus précis. Il y a moins de place pour des erreurs. Le LOG, le niveau de géométrie, est bien respecté ; le LOI, le niveau d’information technique, est un peu en retard. Mais on se projette vraiment sereinement sur la suite. A priori, nous n’aurons pas de gros soucis. La maquette est mûre, habillée pour la réalité virtuelle. »
Le projet entre ce printemps dans la phase 32 SIA. Tout est prêt pour la mise à l’enquête qui doit intervenir tout prochainement. Après obtention de l’autorisation de construire, les travaux devraient débuter en 2023 pour une mise en service d’une première partie en 2026. L’installation complète devrait être achevée d’ici 2028.