Un lifting express à 25 millions pour accéder aux pistes de ski de Verbier
Mise en service il y a presque 40 ans, la vénérable installation de six places qui relie Verbier aux Ruinettes n’est plus. Une télécabine 10 places de dernière génération la remplace avantageusement. Les gares de Médran, en plein centre de Verbier, et des Ruinettes ont dû être adaptées pour accueillir cette nouvelle infrastructure qui offre un débit deux fois supérieur. Dans la station valaisanne, le bâtiment historique et ses alentours ont été modifiés de manière spectaculaire pour améliorer les flux de circulation et l’expérience clients.
Crédit image: Jean-A. Luque
Un important travail d’ingénierie et de génie civil, accompagné d’une touche architecturale industrielle, a métamorphosé le terminal de Médran et le domaine fréquenté par plus de 20'000 personnes les jours de pointe.
Cet hiver, le père Noël est arrivé juste à temps à Verbier. Et il s’est montré plus que généreux. Dans sa hotte, il y avait une surprise de taille pour les hôtes de la station valaisanne : un tout nouveau télécabine 10 places (Garaventa – Doppelmayr) de dernière génération pour relier Médran aux Ruinettes, le tronçon clé du domaine skiable, et des gares reliftées, plus belles et confortables. Un cadeau à 25 millions de francs !
L’installation remplacée datait de 1984 ; elle avait fait son temps. Avec ses cabines six places et son débit de 1800 personnes par heure, elle peinait à répondre aux attentes des utilisateurs toujours plus nombreux. Surtout, elle était équipée de pinces système Dumur (attaches débrayable type poids, sans ressort). Un système, fabriqué par Giovanola Frères, qui avait révolutionné en son temps les remontées mécaniques. Mais une technologie désormais obsolète et condamnée à disparaître par l’Office fédéral des Transports (OFT).
« Le 26 juin 2019, l’OFT nous a informés que les cinq dernières installations de Suisse équipées de telles pinces verront leur autorisation définitivement révoquée en 2025, explique Lionel May, directeur d’exploitation de Téléverbier SA. Pour nous, la liaison Médran-Ruinettes est la clé de voûte de tout le domaine, autant dire qu’il y avait urgence absolue de la rem-placer et de la moderniser. Il a fallu travailler et lancer les mandats de construction au plus vite. »
Course contre
la montre
En moins d’une année, le dossier final pour la nouvelle installation a été
monté, complété et déposé à l’OFT, le 16 juin 2020. La mise à l’enquête a été lancée dans la foulée, le 10 juillet. « Un véritable
parcours du combattant, raconte Lionel May. Nous avons aussi réalisé un immense
travail d’information avec les voisins de la gare de Médran. Ils allaient être
durement impactés par les travaux, certains ont été privés d’accès routier à
leur logement pendant six mois. Mais tout ce travail a été payant. Nous n’avons
eu aucune opposition. Et en avril 2021,
quand l’OFT nous a donné son autorisation définitive – avec une centaine de
charges à respecter, 80 % d’elles environnementales, mais aussi techniques L’exosquelette
métallique signe visuellement la station de Médran. La liaison des diagonales
est assurée par un nœud structurel à six branches rappelant la forme d’un
flocon de neige. et sécuritaires –, nous étions dans les starting-blocks… »
Crédit image: Jean-A Luque
La station d'arrivée des Ruinettes a été agrandie avec une nouvelle face avant. Une grande façade en bois, composée de claires-voies en mélèze, doit encore être posée cette année.
Une nouvelle course contre la montre s’engage alors pour réaliser un chantier aussi exigeant qu’ambitieux. Changer l’installation ne se résume pas à monter une nouvelle mécanique, modifier quelques pylônes et mettre en place les télécabines. Les nouveaux équipements nécessitent plus de dégagement et des volumes différents, mais le niveau de plafond de la gare ne peut pas être modifié. Cela implique d’importantes modifications avec des murs porteurs démolis et déplacés, pour augmenter l’espace d’accès aux cabines. Le bâtiment de Médran est réaménagé, ses accès extérieurs également. Tous les pylônes de la liaison sont remplacés. La station d’arrivée des Ruinettes subit également de profonds changements. L’ancienne gare doit faire place au garage d’une capacité de 71 cabines, plus le véhicule d’entretien. A l’avant de l’édifice, la façade est avancée et la nouvelle gare doit être construite.
« Nous n’avions que huit mois pour arriver au bout de ce chantier, s’exclame Etienne Glassey, le directeur du bureau d’ingénieurs Paul Glassey. Vu l’importance stratégique de la liaison, il était impératif que les installations soient opérationnelles pour les fêtes de fin d’année. » Mission accomplie au 23 décembre !
Contraintes du
travail en altitude et en ville
Mais tenir les délais n’était qu’un des multiples défis qu’ont dû relever les
équipes menées par les consortiums Vaudan SA – Manenti & Farquet SA et
Implénia SA – Polli & Cie SA, ainsi que l’entreprise Epiney Construction SA
chargée de la construction des socles de pylônes. En effet, les chantiers de
cette installation ont été compliqués et ardus. Ils ont accumulé les
difficultés liées au labeur d’altitude avec les contraintes d’un travail en
ville, qui n’offre que peu de dégagement pour le stockage, grutage ou montage.
Sans oublier les restrictions liées au bruit, aux passages des poids lourds,
aux horaires de travail…
« Tous ces travaux ont été accomplis alors même que la gare de Médran et l’installation adjacente, qui relie aussi les Ruinettes avec le télécabine 4 places, restaient en exploitation pendant la saison estivale, tient à préciser Lionel May. Cela a impliqué de mettre en place des concepts d’exploitation provisoires qui ont dû être approuvés et tenaient compte bien sûr de la sécurité entre le chantier et les clients, de la pénétration d’engins de chantier dans les locaux, des risques de collision. Comme les escaliers d’accès étaient supprimés, nous n’avions qu’un ascenseur, trop petit pour les VTT, pour accéder à l’installation. Nous avons dû construire une passerelle provisoire pour les cyclistes. Même éphémère, elle devait respecter les normes antisismiques… Toutes ces contraintes accumulées ont représenté un immense travail administratif et logistique. »
A Verbier, les abords de Médran ont été profondément modifiés. Un nouvel aménagement routier a été créé. En amont, le chemin d’accès aux immeubles a été déplacé. Une nouvelle chaussée longue de 150 m a été créée et entièrement équipée (égouts, électricité…) Les skieurs passent au-dessus de cet axe grâce à un pont-tunnel. Puis pour rejoindre la station du Châble, ils s’engouffrent dans un tunnel piéton flambant neuf. « Pour garantir le gabarit de passage sous les nouvelles cabines, l’ouvrage a dû être enterré, déclare Etienne Glassey. Nous avons dû creuser autour du pylône, ancrer, remblayer et poser la galerie qui désormais se trouve 3,5 m sous la surface. » Et comme si cela ne suffisait pas, un accès camion sous la gare haut de 4,5 m a aussi été créé pour assurer le transit des véhicules de livraison au travers du complexe de Médran.
Statique
modifiée
« Entre avril et juin, poursuit le responsable, nous nous sommes attaqués à un des points les plus délicats du chantier : le
mur porteur au niveau du perron amont. Ce mur séparait les deux télécabines qui
desservent en parallèle les Ruinettes. Mais avec le nouvel équipement, il a
fallu décaler l’axe de l’installation de 3,75 m. Cela a impliqué énormément de calculs
et de reprises de charges. Dans cette partie de l’édifice, il a donc fallu
enlever et remplacer cet élément porteur de 8 m de long sur 5,6 m de haut. Nous
avons installé une structure métallique en toiture posée sur une trentaine de
potelets sur une dalle mixte. Cela a complètement modifié la statique des
poutres inférieures. Les charges de la partie mécanique sont désormais partiellement
suspendues à cette ferme et une partie est descendue au sol. Et tout cela a été
réalisé alors même que les employés de Téléverbier travaillaient dans leurs
bureaux situés au dernier étage du bâtiment en garantissant en permanence leur
confort et leur sécurité. »
Crédit image: Téléverbier
Au mois d’août dernier, tous les pylônes de la liaison ont été remplacés. Même moins hauts qu’auparavant, leur installation reste un travail de haute voltige.
Par rapport à un projet traditionnel, où les ouvriers travaillent étage après étage sur l’ensemble du chantier, l’organisation du travail à Médran a été bien différente. Les équipes ont travaillé par éléments verticaux, comme le confirme Etienne Glassey : « Un groupe s’est concentré sur le secteur sortie des cabines avec son mur porteur. Un autre s’est attelé au corps principal. Il a fallu renforcer les fondations existantes avec des micropieux de 13 m de long. Mais comme il n’y avait pas l’espace nécessaire pour faire entrer les machines, il a fallu travailler depuis l’étage supérieur, 4 m plus haut et traverser les dalles. Deux piliers porteurs s’élèvent ensuite jusqu’en toiture ; le principal dont la base fait 3,2 m sur 1, 2 m est dédoublé au dernier niveau. »
Eléments
multifonctionnels
Tous les éléments nouveaux de la gare de Médran sont multifonctionnels. Le
voile de béton sur le perron porte la structure métallique, mais il sert
également de paroi antibruit et de renfort parasismique. La cage d’escalier
porte la ferme en toiture et renforce également la dalle tout en constituant
aussi un élément parasismique et antibruit important.
Ce chantier complexe a nécessité l’utilisation de pas moins de six sortes de bétons différents : du béton normal, du résistant au gel pour les travaux en extérieur, du poreux pour le remblayage autour des structures existantes, du mousse pour renforcer les dalles et améliorer l’isolation thermique et phonique, du liquide et du béton autoplaçant extrêmement fluide.
Tout ce travail d’ingénierie et de génie civil pointu n’est plus qu’histoire aujourd’hui et passe inaperçu aux yeux des utilisateurs. Ceux-ci ne se doutent rien, trop heureux d’apprécier l’attente réduite grâce au débit impressionnant du télé-cabine 10 places qui peut faire voyager jusqu’à 3600 personnes par heure. Des clients dont le confort est encore augmenté grâce à un flux repensé, des dégagements plus amples, une coursive supplémentaire et des escalators qui remplacent avantageusement les anciennes marches en béton.
En revanche, les skieurs et autres visiteurs ne sont pas insensibles au nouveau look de Médran. Impossible de ne pas remarquer l’exosquelette de métal qui orne le bâtiment sur sa face sud-ouest. « L’intervention architecturale devait être respectueuse de son contexte tout en offrant une identité nouvelle à la gare, témoigne l’architecte responsable Laszlo Nyitray de FIMA Architecture SA. Mais l’édifice initial qui date des années 1960, œuvre de Jean-Paul Darbellay, est protégé, tout particulièrement ses colonnes rondes et ses voûtes caractéristiques. Nous avons travaillé en coordination avec l’Etat du Valais et gardé l’aspect brut et industriel de l’ensemble tout en le rajeunissant. Nous avons avancé la façade extérieure de 3,6 m et imaginé cet exosquelette qui offre un rappel de la structure originale. Grâce à sa peau vitrée, on peut voir les piliers béton et les installations mécaniques à l’intérieur et ressentir l’âme du bâtiment. La sérigraphie unique des verres a été dessinée en s’inspirant des triangles de la façade et en suivant les recommandations du centre ornithologique de Sempach afin d’éviter au mieux les collisions des oiseaux. »
Structure à six branches en flocon de neige Morand Constructions Métalliques a été en charge des façades et de la charpente métallique qui signe visuellement l’édifice. Pas moins de 60 t de charpente en tube RRW250/250/10 avec traitement de surface C3/13 ont été nécessaires. La liaison des diagonales est assurée par un nœud structurel à six branches rappelant la forme d’un flocon de neige. Pour donner son élégance à l’ensemble, il n’y a aucune attache visible depuis le côté extérieur de la structure, raison pour laquelle il a fallu poser les verres depuis l’intérieur et ensuite les poteaux de serrage. 555 m² de façades vitrées à l’étage des télécabines, avec verres VSG sérigraphiés, ont été installées, profil du bas et du haut en alu type Wicona Wicline 50N et raidisseurs verticaux en tube acier RHS.
La station amont a elle aussi subi un important lifting. Les nouvelles façades et les charpentes métalliques ont été réalisées par STASA (filiale du groupe Téléverbier). « La situation sur les pistes était un peu plus simple, lâche Laszlo Nyitray. Nous étions hors zone à bâtir et l’édifice original ne présentait guère d’intérêt architectural particulier. Notre priorité, en l’agrandissant et en le modernisant aux normes incendies et LHand, était surtout de soigner notre intervention pour que ce ne soit pas un rajout supplémentaire comme cela a été souvent le cas depuis les années 1970. Nous avons travaillé sur l’aspect général afin d’unifier une bonne partie de l’édifice, qui n’est pas encore tout à fait fini. En effet, cette station sera équipée, d’ici la fin de l’année, d’une grande façade en bois composée de claires-voies en mélèze. »