«Pour sauver ce projet, il fallait vraiment faire des sacrifices»
En 2002, le Parlement vaudois était ravagé par les flammes. Après plus de douze ans d’études, de discussions, de disputes et de recours, les travaux de terrassement sont achevés et les travaux en cours. Le Conseiller d’Etat vaudois, Pascal Broulis s’est battu comme un lion pour la reconstruction du Parlement au sommet de la Cité. Sans langue de bois, il revient sur toutes les difficultés rencontrées et rêve déjà au futur urbanistique de ce quartier historique.
Le chantier du Parlement vaudois a donné lieu à bien des péripéties. Le projet «Rosebud», retenu initialement, présentait un toit asymétrique massif qui a choqué quantité de Vaudois. Sa silhouette tranchait tant par sa forme que par la couleur et la matière. Une volonté délibérée de marquer sa renaissance au IIIe millénaire qui n’a pas du tout été comprise. Elle a même été très violemment rejetée.
Un homme, plus que d’autres, s’est toutefois battu pour que le Parlement vaudois se concrétise malgré les oppositions. Cet homme, c’est Pascal Broulis, le Conseiller d’Etat vaudois, chef du Département des finances et des relations extérieures. Passionné d’architecture, il a repris avec conviction ce dossier. C’est lui, avec son équipe, qui a écouté les opposants, puis les a convaincu en redessinant le projet.
Il suffit de voir Pascal Broulis sur le chantier actuel pour comprendre à quel point il est passionné. Accompagné de Philippe Pont, chef du Service Immeubles, Patrimoine et Logistique, ainsi que de Jean-Christophe Chatillon, le chef de projet, il pose mille et une questions sur l’avancement des travaux. Il s’enquiert des micropieux qui doivent être posés pour stabiliser le bâtiment ou de la manière dont les vestiges historiques retrouvés vont être préservés. Enthousiaste, heureux, il se livre en interview et réserve même des surprises pour le futur.
Cette fois, c’est bien lancé. Après toutes les polémiques, les retards, plus rien ne va arrêter les travaux du Parlement vaudois. Soulagé?
Quand je vois le chantier aujourd’hui, je me dis qu’on a fait quand même du bon boulot. J’ai le sentiment du devoir accompli. Mais que cela a été cher payé pour tous ceux qui se sont investis dans le projet, les constructeurs, les architectes, tout le monde. Ça nous a vraiment pris la tête, occupé l’esprit en permanence et… longtemps.
Il faut bien avouer que cela s’est fait dans la douleur. Quand nous avons relancé les architectes, ils étaient passés à autre chose, d’autres objets, d’autres projets. Il a fallu remettre en marche toute la machine. Des collaborateurs étaient partis. Il a fallu en réembaucher.
Effectivement, en termes d’oppositions, rien ne vous a été épargné sur ce projet.
Nous avons eu tous les blocages possibles et inimaginables. Sauf un: l’ultime recours au tribunal fédéral. Les référendaires ont lâché juste avant. Ça devenait quand même embarrassant. Il ne faut pas oublier que l’incendie remontait à 2002. Et les gens qui voyaient ces décombres à l’abandon, en plein centre du cœur historique et politique de Lausanne, se posaient des questions. Nous avons d’ailleurs repeint les palissades à plusieurs reprises. Des arbres ont même poussé atteignant des diamètres de plus de 15 cm.
Dès le départ, c’est le toit du projet «Rosebud» qui a cristallisé les réactions de rejet. Pourquoi une telle aversion?
L’idée initiale était de marquer notre époque tout en s’inscrivant dans une continuité historique. La grande toiture de type pyramidal asymétrique, gris en inox laminé, devait redessiner la silhouette de la Cité. Le gouvernement, mais aussi les députés vaudois étaient d’accords. Mais nous avons sans douté péché dans la phase de communication. L’option retenue n’était pas suffisamment marquante, comme le Reichstag à Berlin, pour faire la différence et emporter l’adhésion.
Du coup, pour sauver le projet, vous avez dû faire marche arrière.
Nous étions conscients d’avoir très peu de chances face aux référendaires. D’autant plus qu’il y avait un discours général du style «l’Etat se permet n’importe quoi, alors que les privés sont astreints à respecter tous les règlements». Il nous fallait absolument reprendre la main et éviter le référendum. Et puis, il y avait un risque sérieux que les murs, mis à mal par l’incendie, finissent par s’écrouler.
Nous avons voulu enterrer la hache de guerre et fait des concessions pour pacifier le débat. Pour sauver ce projet, il fallait vraiment faire des sacrifices. Du coup, cette toiture nous a valu de nombreuses séances matinales à six heures du matin. Le toit était plus volumineux et avec l’escalier et la machinerie placée dessous, il y avait une rupture. Désormais, il est mieux intégré, plus harmonieux. Nous sommes revenus aussi à des tuiles de couleur.
Mais, j’en suis convaincu, ce toit pyramidal qui abritera la salle du Parlement reste un élément très fort, visible et symbolique.
Le site de Perregaux sur la butte de la Cité est chargé d’histoire. Dès le départ, il a été décidé de mettre en valeur ce patrimoine historique. Mais cela a dépassé toutes les espérances.
Oui, nous voulons tout garder, réutiliser autant que possible les matériaux eux-mêmes utilisés au fil des générations, les blocs, les pavés… Ce sont des travaux colossaux. Par exemple, le tympan de du bâtiment a été démonté pierre par pierre. Un fronton en béton a été coulé sur lequel nous réinstallerons ultérieurement le tympan.
Mais la plus belle des surprises a été la découverte de cette peinture murale qui date des années 1320-1340. C’est fantastique de se dire que cette fresque a été protégée par un mur pendant plus de 600 ans. Nous allons lui dédier un lieu tout particulier. Elle se trouve où les architectes avaient imaginé installer des toilettes. On va changer cela. Nous sommes en train de réorganiser tout cet espace pour qu’elle soit visible depuis le hall.
Il est cher et compliqué de préserver et mettre en valeur des traces historiques pareilles. Mais le gouvernement et le parlement investiront ce qu’il est nécessaire. En attendant, durant les travaux, et pour éviter toute détérioration, cette peinture va être protégée par un sarcophage rempli de sable.
Les vestiges historiques remontent jusqu’à quelle époque?
Les plus anciens datent du VIe-VIIe siècle, de la fin de l’empire romain d’occident. Il s’agit de pierres qui prouvent l’existence d’une église primitive et d’une tombe mérovingienne où une parure en bronze a été retrouvée.
Sur ce chantier, des strates de toutes les époques ont été retrouvées. L’une des plus visibles et déjà bien connue n’est autre que la maison des Charbonnens qui abritera les salles de commissions. C’est sans doute la maison la plus ancienne de la Cité qui remonte au XIIIe siècle.
La Cité va ressembler à un énorme chantier ces prochaines années. Vous venez en effet de mettre à l’enquête les travaux de rénovation du Château, siège symbolique de l’exécutif vaudois.
La stratégie initiale était, pour des raisons budgétaires, d’échelonner les travaux. Nous voulions démarrer le chantier du Parlement pour ensuite mettre à l’enquête le projet du Château. Mais, comme nous en avons parlé, les recours ont largement repoussé le démarrage du Parlement. Et chose absolument incroyable, nous n’avons pas eu le moindre recours concernant le Château. Du coup, une partie des travaux se réalisera en simultané. Le Parlement devrait être inauguré en 2017. Le Château en 2018.
Mais les projets n’en restent pas là. N’est-il pas question d’un réaménagement plus large de la Cité?
Disons qu’il faut voir plus loin et saisir les opportunités quand elles se présentent. L’idée c’est un réaménagement complet. Idéalement, nous aimerions que la Place du Château n’accueille plus de voitures. Mais pour se faire il faut trouver au préalable des solutions, par exemple à la Riponne. L’espace se prêterait ainsi magnifiquement aux fêtes de la Cité et à d’innombrables occasions comme l’installation des autorités. Ce sera magnifique. Toute la place sera en effet totalement restaurée: le Château, le Parlement, l’école de chimie.... On pourrait même imaginer de manière symbolique remettre en vue la porte médiévale au bas de la rue de la Barre. On redonnerait ainsi ce sentiment originel, car cette Cité c’était un lieu fermé et protégé.
Nous avons parlé chantiers et rénovations historiques, mais y-a-t-il aussi des projets au niveau des logements et habitations dans le quartier?
Absolument. L’Etat loue actuellement des bureaux dans l’immeuble au bas de la rue de la Barre. Nous avons le projet de racheter les locaux de la RTS à la Sallaz et de déménager des services dont ceux de la Barre dès 2019, quand la RTS se sera installée sur le campus de l’EPFL. L’idée est donc de libérer ces surfaces de bureaux qui redeviendront des appartements comme à l’origine, contribuant ainsi à densifier le centre ville.
Plus d’habitants, moins de places de parc pour les voitures. Comment gérer ce problème?
D’ici cinq ou six ans, nous aimerions pouvoir redessiner complètement le quartier, place de la Riponne comprise. Nous travaillons actuellement sur des projets avec les services du Municipal lausannois Olivier Français. Une des idées serait de surélever la place de la Riponne et de rajouter un étage de parking permettant d’accueillir les véhicules de la place du Château . Cela redonnerait du lustre à cet espace… Mais c’est encore de la musique d’avenir.