Passé, présent et modernité se marient aux Rives de la Baye de Montreux
Au centre-ville de Montreux (VD), l’ancienne menuiserie historique Moraz et son emblématique cheminée renaissent. Longtemps à l’abandon, les locaux ont été transformés et métamorphosés en PPE de quatorze logements et quatre surfaces commerciales, dont un centre médical et un restaurant japonais. La revitalisation et la valorisation du site industriel sont l’œuvre de Steiner SA qui a développé un projet atypique tout en respectant l’esprit du lieu.
Crédit image: Photodrone-pro, Pedro Gutiérrez
La cheminée est l’élément fort et symbolique du projet. Elle se voit de partout. Depuis les terrasses bien sûr, mais aussi de l’intérieur, grâce à des puits de lumière.
On ne voit qu'elle. La haute cheminée est tout un symbole. Celui d’un temps industriel qui trouvait racine en pleine ville de Montreux. Un passé glorieux et révolu qui remonte à 1901… bien des décennies avant la construction de la tour d’Ivoire ou de la naissance du Festival de jazz sur les bords du Léman. Cette tour de brique qui culmine à 32 m appartenait à l'ancienne menuiserie Moraz dont les murs sont répertoriés dans l'Inventaire suisse d'architecture.
Adossé à la rivière la Baye et à l'avenue Nestlé, l’ensemble bâti du début du XXe siècle a longtemps servi de repère dans le paysage urbain montreusien. Dotée d'une toiture à pignons croisés avec des ornements en bois, l'ancienne menuiserie est un témoin précieux de son époque. Quand il s’est agi de valoriser la parcelle pour transformer le complexe en un ensemble immobilier, la question de la sauvegarde des murs s’est posée.
C’est l’entreprise Steiner SA qui a trouvé les ressources et l’imagination nécessaires pour faire renaître le site. L’ultime vestige industriel de Montreux a été conservé, la cheminée et son four consolidés, tout en aménageant des possibilités de logements originales. Les Rives de la Baye mettent en valeur le patrimoine, une symbiose totale entre le charme des bâtisses d’antan et le confort des infrastructures contemporaines. Le résultat, ce sont quatre blocs qui hébergent 14 appartements à la typologie insolite et 4 surfaces commerciales généreuses.
Respect du
patrimoine
Le premier bloc est bien sûr celui de la menuiserie historique. Le volume
général est respecté, la charpente a été conservée, ainsi que la structure avec
un respect visuel des ouvertures et de leurs encadrements. Les chevrons et les
éléments endommagés ont été remplacés.
Le bâtiment, on s’en doute, dégage le cachet particulier de l’ancien. Les surfaces y sont toutes différentes. Au rez-de-chaussée, face à la route, un restaurant japonais ouvrira ses portes l’année prochaine. Derrière, bientôt, une école de danse et de bien-être accueillera notamment les adeptes de yoga.
A l’étage, une immense surface commerciale de plus de 250 m² dotée d’un jardin d’hiver peut se transformer aussi bien en showroom qu’en espace de bureaux incubateur de start-up. Et sous les combles, deux magnifiques appartements avec terrasse et poutres apparentes viennent de voir leurs propriétaires emménager.
Crédit image: Jean-A. Luque
Cette tour de brique qui culmine à 32 m a été renforcée par précontrainte : trois câbles de 4 cm de diamètre la tiennent avec pas moins de 60 tonnes de compression.
« Ce bâtiment a demandé un gros travail d’assainissement en sous-sol, explique Marc Andres Garcia, chef de projet chez Steiner SA. Nous avons dû renforcer la dalle historique, car elle n’était pas bien reliée structurellement. Pour lier les poutres, nous avons procédé à un quadrillage de la dalle avec des bandes en fibres de carbone. Le jardin d’hiver a lui aussi été renforcé, car la façade bois n’était pas suffisamment solide ; nous l’avons donc doublée avec une structure métallique et avons posé une nouvelle dalle de béton qui tout en haut permet d’obtenir une magnifique terrasse. »
Annexe
réinventée
Un deuxième bloc, exclusivement composé d’appartements, s’appuie sur le côté
sud de la menuiserie. A l’origine cette annexe servait d’entrepôt. Le bâtiment
a été démoli du rez-de-chaussée à la toiture et reconstruit en respectant les
cadences des piliers en béton de la façade d’origine. Aujourd’hui, derrière sa
façade métallique ventilée, on découvre trois duplex et trois triplex. La
surface de base qui rythme les pièces est toujours identique : 4,5 m × 8 m. Les
duplex offrent deux niveaux plus une cave ; les triplex ont un étage
supplémentaire dont la dimension est double. Certains acquéreurs ont opté pour
une surface finale d’un seul tenant ; d’autres ont préféré jouer sur deux
pièces. Pour offrir un maximum de lumière et un dégagement préservé, des
fenêtres-accordéon jouent le rôle de baie vitrée avec un garde-corps
artistiquement ajouré de motifs végétaux.
Deux bâtiments supplémentaires ont été créés à l’arrière de la menuiserie. L’un avec une façade bois ventilée, l’autre avec une façade en béton apparent et isolation intérieure. Un cabinet médical est en cours d’installation dans la surface de plain-pied. Des appartements avec jolies terrasses-loggias et puits de lumière originaux ont également été créés.
Le site est idéalement situé, à quelques minutes à pied du lac, de la Grand-Rue et du centre commercial Forum. Les transports publics, dont la gare CFF, se trouvent à proximité immédiate, tandis qu’il suffit de quelques minutes en voiture pour rejoindre l’autoroute A9. Mais pour mettre en valeur les Rives de la Baye, il a aussi fallu composer avec une rivière qui peut être menaçante et une voie ferroviaire attenante. L’emplacement a posé des défis impressionnants.
Crédit image: Jean-A. Luque
Le caractère industriel du bâtiment historique a été magnifiquement préservé. Les parties endommagées, tels les chevrons ont été remplacés à l’identique.
« Ce chantier urbain a été un vrai défi logistique, sans place de dégagement ou de stockage, un accès limité et un environnement très spécifique, reconnaît Marc Andres Garcia. Mais la Baye a constitué une des contraintes principales. Pour respecter les normes de dangers naturels, nous avons dû sécuriser la parcelle de manière à contenir une crue tricentenaire. Pour y parvenir, nous avons bétonné un mur le long de la menuiserie, des sauts de loup ont été condamnés, des hauteurs de fenêtres ont été revues, les vitrages sont renforcés et des grilles installées pour protéger des objets qui pourraient être charriés par la rivière en furie. »
Rails et
caténaires dangereux
« La voie ferrée qui n’est qu’à trois mètres de la façade arrière ne nous a pas
simplifié la tâche non plus, poursuit le chef de projet. Pour les premiers
travaux de démolition, les CFF ont pu couper la ligne une nuit et nous avons pu
travailler rapidement. Mais il était impossible d'interrompre le trafic dans
une seconde étape pour monter la paroi métallique de protection du chantier
vers les rails et les caténaires. Nous avons dû être inventifs. Concrètement,
nous avons préparé le mur de protection couché sur le radier, à l’horizontale.
Une fois les quatre parties prêtes, il nous a suffi de les soulever et de les
faire basculer verticalement afin de les assembler les unes avec les autres. »
Soucieuse de durabilité, Steiner SA a favorisé tant que faire se peut le réemploi au cours de ce chantier de rénovation, mise en valeur et transformation. Mais le bilan est en demi-teinte et montre les limites de l’économie circulaire. « Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine, constate un peu amer Marc Andres Garcia. Certains éléments se sont vendus facilement ; les escaliers en bois par exemple. Mais après, on se heurte à des questions de coût. On avait un escalier en bois magnifique, mais quand on calcule le prix pour le démonter et le transporter, ce n’est plus rentable. De même pour les Velux. Une fois évalués le démontage et le transport, on est au prix du neuf. Alors, oui il y a un vrai intérêt, mais les prix du réemploi sont les mêmes que le neuf, ce qui freine la majorité des intéressés. Ça fait mal au cœur de voir de belles pierres, du granit, ou des poutres en bois de 12 m partir à la déchetterie. Pour que le réemploi attire, il faut être plus performant au niveau des prix des éléments démontables. Mais ce n’est pas encore gagné. »
Tour de forceUn élément qui lui est, plus que jamais, réemployé dans les Rives de la Baye, c’est bien sûr la cheminée en brique. Elément visuel fort du projet, elle a été l’objet de toutes les attentions. Désormais, elle est même capable de résister à un séisme ou une forte tempête. Pour la consolider, Steiner SA a fait le pari de la précontrainte : « Nous avons réalisé une ouverture de 2 m sur 1 m au bas de la cheminée. Puis nous avons procédé à un ancrage passif et foré des micropieux à 15 m de profondeur. Aujourd’hui il y a trois câbles de 4 cm de diamètre qui tiennent la tour avec pas moins de 60 tonnes de compression. » La cheminée est donc là pour durer des dizaines d’années… et tant pis si la compression lui a fait perdre une cinquantaine de quelques millimètres.