L’Etat de Vaud a opté pour une surélévation express
Le Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) de l’EPFL a mis en place, sur un bâtiment administratif de Lausanne, sa structure modulaire pour une surélévation rapide et durable.
Densifier. Dans le contexte actuel de réduction des zones constructibles, le mot d’ordre est général. Et une des manières les plus intéressantes d’y parvenir passe par la surélévation. L’Etat de Vaud y a déjà eu recours pour des extensions de surfaces administratives. Mais en lançant les travaux du bâtiment situé à l’avenue de l’Université 5, en plein centre-ville de Lausanne, le canton veut aller plus loin. Il a fait appel au Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) de l’EPFL pour développer un projet de recherche et réaliser un prototype économique qui puisse servir de modèle à quantité d’autres surfaces de bureau.
9 jours de construction pour 600 m2
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça va vite, très vite. Il n’a fallu que deux fois trois jours pour monter le gros oeuvre, poser les façades, bâcher et travailler hors d’eau. Quand on sait qu’on parle d’une surface de 600 m2, on apprécie l’efficacité. Lancés en mars, les travaux de surélévation du bâtiment administratif Université 5, qui surplombe la place de la Riponne à Lausanne, doivent être achevés en juin.
Ce qui laissera deux mois pour peaufiner l’aménagement intérieur et accueillir 40 collaborateurs fin août.
Antonio Rodriguez, chef de projet au Service immeubles, patrimoine et logistique (SIPaL) du canton de Vaud, s’en félicite: «C’est l’avantage de travailler avec un système répétitif. En termes de rationalisation, c’est parfait. Nous aurions même pu travailler sans installer d’échafaudages, mais il a été décidé de profiter de l’occasion pour rénover les façades.»
A l’EPFL, le professeur Emmanuel Rey, directeur du LAST, confirme les avantages de la technique mise au point dans le cadre du projet Working Space: « Notre nouveau système modulaire se distingue par sa flexibilité et la rapidité de sa mise en œuvre. Nous utilisons le potentiel de la construction légère en associant à une structure en bois divers éléments adaptés à une construction à sec. »
Techniques éprouvées, mais revisitées
Concrètement, cette surélévation repose sur une structure porteuse en bois préfabriquée. Au niveau vertical, elle s’appuie sur des éléments de grandes dimensions composés d’une ossature de poteaux et de poutres solidaires. Ce système porteur primaire permet de s’appuyer sur un nombre limité de points et de transmettre aisément les charges sur les porteurs déjà existants. Au niveau horizontal, la structure se compose de dalles à caissons en bois, tant pour les planchers que pour la toiture. Leurs dimensions correspondent exactement à la trame verticale du bâtiment existant, et peut varier entre 1,8 et 3,6m. A priori, il ne s’agit là que de techniques structurelles éprouvées. Alors en quoi cette surélévation se distingue-t-elle vraiment ? « C’est exact. Les composants utilisés ne sont pas révolutionnaires et la technologie poteaux-poutres n’est pas nouvelle, affirme Aleksis Dind, chef de projet au LAST et assistant de recherche et d’enseignement à l’EPFL. L’innovation ici n’est pas d’ordre structurel. Elle réside plutôt dans la pensée modulaire, l’approche intégrative et la recherche de durabilité qui caractérisent notre démarche. Tout l’intérêt de notre système réside dans son adaptabilité, sa reproductibilité et sa simplicité. Quand on l’associe au savoir-faire d’une entreprise orientée solutions, cela se répercute également favorablement au niveau du prix de construction. »
A l’origine, cette surélévation avait fait l’objet d’un concours d’architecture. Mais le développement du projet lauréat a malheureusement abouti à une impasse. C’est là que le LAST a été sollicité pour tester une autre approche, basée sur ses divers travaux de recherche. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. La pose de ce cinquième étage, la création au sud et au nord du bâtiment de deux noyaux techniques de 50 m2 en bois et béton, qui servent d’accès ascenseur et escaliers, et l’aménagement intérieur pour 40 places de travail ne devrait pas dépasser les trois millions de francs. Difficile d’être plus compétitif à deux pas de la place de la Riponne, au pied de la Cité. « Il nous a fallu six mois de développement à l’EPFL pour proposer notre solution, explique Aleksis Dind. Mais si nous avons pu être aussi rapides et compétitifs, c’est aussi parce que les études préliminaires (statique, parasismique, amiante, etc.) avaient déjà été menées en amont. »
Du low tech qui privilégie le développement durable
« Au-delà du coût ou de la rapidité d’exécution, tient à souligner Antonio Rodriguez, ce projet se veut aussi exemplaire dans le domaine du développement durable. Il s’inscrit dans les objectifs de la société à 2000 Watts. Cela débute par une faible dépense d’énergie grise en utilisant notamment du bois vaudois jusqu’à l’utilisation d’énergies renouvelables grâce à l’intégration de panneaux photovoltaïques sur 560 m2 en toiture.» La conception même de cette surélévation est fondée sur une approche bioclimatique. En hiver, la qualité de l’enveloppe de l’édifice permet de limiter les déperditions thermiques et de réduire la consommation d’énergie du chauffage. Le recours à des radiateurs équipés de vannes thermostatiques favorise également une grande réactivité du système. En été, la démarche se base sur une réduction des rayonnements solaires, grâce notamment à un avant-toit intégré à la toiture et l’utilisation de stores à lamelles. « Nous faisons la part belle à la ventilation naturelle et au rafraîchissement passif nocturne, ajoute le chef de projet au LAST. De plus, au pied des baies vitrées, en retrait du dernier étage, nous avons une bande végétalisée. Cette surface favorise la biodiversité en ville avec des semences indigènes et offre l’avantage d’abaisser la température de l’air qui entre dans le bâtiment d’environ trois degrés. »
Cette surélévation se distingue donc par sa conception, son coût et sa haute qualité environnementale. Mais qu’en est-il de son architecture et de son aspect visuel ? A en croire les représentations en image de synthèse, le rendu est plaisant sans être révolutionnaire. Cette recherche d’équilibre et de sobriété semble bien adaptée au contexte local. «L’immeuble Université 5 est emblématique de sa période de construction, les années 70, analyse Aleksis Dind. Son enveloppe extérieure est composée d’éléments préfabriqués en béton. Nous avons cherché à conserver une expression architecturale cohérente en adaptant la trame verticale originale. Notre but, c’est de faire de l’intégration douce, plutôt que d’exacerber une logique de contraste. Ce dernier étage se distingue nettement par sa légèreté, néanmoins il s’intègre à l’ensemble et dialogue même avec le rez-de-chaussée commercial, entièrement vitré lui aussi.»
Mais le travail le plus intéressant pour les chercheurs de l’EPFL se jouera dans les années à venir. «Nous travaillons dans une optique académique, précise Aleksis Dind. Nous pensons système et nous réjouissons d’expérimenter notre programme de recherche en grandeur nature. Nous allons pouvoir tirer un bilan en fonctionnement réel et découvrir comment l’utilisateur va gérer son environnement. Avec à la clé, sans aucun doute, des pistes d’amélioration.»
Adapté aux écoles
L’Etat de Vaud, en tous cas, compte dessus. Il a déjà identifié une dizaine d’immeubles susceptibles d’être rehaussés en faisant appel au système Working Space. Et pas seulement pour des espaces administratifs. En effet, avec une hauteur libre sous plafond de trois mètres, il est également possible de créer des espaces pour la formation tels que des salles de classe. A l’heure où les écoles manquent cruellement de surfaces, la solution proposée par le LAST pourrait bien servir de bases à de nombreuses réalisations.
Par Jean-A Luque
Mai 2018