Les eaux usées de Neuchâtel transformées en centrale énergétique
La rénovation de la station d’épuration des eaux usées de la Ville de Neuchâtel la transformera en 2025 en centre de production d’énergie pour son quartier, grâce à une pompe à chaleur, des panneaux photovoltaïques et la valorisation de son biogaz. Les micropolluants y seront enfin traités et les bâtiments s’ouvriront au public. Le chantier se déroule avec de très hauts standards de sécurité, en exploitation et sur un terrain pollué par d’anciens matériaux utilisés dans les années 1960 pour son remblayage.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Le quadrilatère à côté des digesteurs est déjà totalement excavé et consolidé par des butons. Une opération délicate et dangereuse, du fait que les installations restent en exploitation. La nature des matériaux utilisés par le remblayage des rives à cet endroit a fait craindre une pollution. Des analyses sont encore en cours.
Le chantier est qualifié de dangereux. Mais il offre l’opportunité de changer l’image négative véhiculée par la station d’épuration des eaux usées (STEP) de Neuchâtel. Ce sont aussi et surtout des travaux délicats, puisque le nouveau traitement des 12 000 m³ quotidiens d’eau qui arrivent dans les premiers dégrilleurs améliorera le bilan énergétique du complexe. Les installations neuchâteloises deviendront en 2025 un centre de production d’énergie, tout en se voulant exemplaires en matière de protection de l’environnement.
L’endroit n’est pas très glamour. Construite à la fin des années 1960 au bord du lac de Neuchâtel, la STEP de Neuchâtel ne répond plus aux exigences de la Confédération en matière de traitement de l’azote et des micropolluants dans les eaux usées. Nichée entre le nouveau stade de la Maladière et son centre commercial d’une part, et le port de plaisance du Nid-du-Crô d’autre part, elle s’est distinguée autrefois par ses odeurs et son architecture aussi brute que fonctionnelle. Selon le conseiller communal neuchâtelois Mauro Moruzzi, il est temps de la faire entrer dans le XXIe siècle. A l’appui d’un crédit de 44,5 millions voté en 2018 et d’un investissement de 14 millions consenti par le fournisseur d’énergie Viteos, le virage est amorcé.
Des remblais
problématiques
Très vite, la démolition et la reconstruction des installations ont été
confrontées à son terrain. Le site est en effet aménagé au bord du lac, sur des
remblais aménagés dans les années 1950 à partir de chantiers avoisinants. Soit
à une époque où la réutilisation écologique des matériaux n’en était qu’au
stade des balbutiements.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Pour la construction du nouvel espace de traitement des eaux, il n’a pas été possible d’utiliser des palplanches. La sécurité de l’exploitation, et en particulier celle des digesteurs, l’en a empêché.
« Nous nous trouvons en fait sur un terrain pollué », indique le chef d’exploitation Nicolas Oppliger. Le chantier a donc débuté par l’excavation d’un vaste quadrilatère par petites portions. Les ingénieurs ont fait analyser les matériaux prélevés pour en évaluer la toxicité. Ces investigations – encore en cours – n’ont heureusement rien révélé d’alarmant.
La proximité du lac a également retenu l’attention des maîtres d’ouvrage. Les récents grands chantiers du parking de la place du Port à Neuchâtel et du nouveau stade de football ont dû composer avec des infiltrations d’eau ou des vibrations excessives. Fort heureusement, l’espace de la nouvelle STEP s’est révélé étanche, au grand soulagement des responsables du projet de transformation. Une nouvelle qui a aussi permis d’éviter des travaux aux fortes vibrations, comme ceux qui avaient tant affecté le voisinage du stade il y a17 ans, allant même jusqu’à fissurer des bâtiments d’habitation construits sur pilotis. « La présence de digesteurs et de leurs boues en cours de traitement nous a fait renoncer à la pose de palplanches pour l’aménagement des nouvelles installations », souligne Nicolas Oppliger.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
L’espace destiné au traitement des micropolluants a été consolidé par le forage de 305 pieux sécants, procédé renforçant la sécurité des installations existantes. Les traverses métalliques posées à titre provisoire serviront à la construction d’une nouvelle coque de béton.
En lieu et place de palplanches, les responsables ont eu recours au forage. 305 pieux sécants ont été posés jusqu’à 25 m de profondeur pour constituer le socle des nouvelles installations de traitement des eaux. Les entreprises mandatées ont ensuite consolidé le « trou » avec des traverses métalliques en attendant le coulage de la coque de béton qui va stabiliser le tout d’ici quelques mois.
Un ballet de
déménagements
Maintenir l’épuration des eaux usées dans le cadre de travaux de rénovation est
aussi un défi permanent. Il n’est en effet pas possible de rénover une station
d’épuration comme celle de Neuchâtel sans en interrompre l’exploitation. Le
chantier est en effet le théâtre d’un ballet incessant de déménagements
temporaires touchant les équipements techniques. L’entreprise générale Orllati
et les maîtres d’ouvrage veillent en permanence à la sécurité des acteurs de ce
chantier. Ils doivent composer avec les aléas climatiques. Les fortes
intempéries de ces derniers temps rendent en effet le processus de traitement
de plus en plus complexe.
En cette fin d’année, le démontage des anciennes infrastructures de traitement est terminé et le terrain est prêt à recevoir sa nouvelle enveloppe pour le traitement par ozonation des micropolluants arrivant par le réseau d’évacuation des eaux usées. Le niveau qui abritait autrefois les bassins va être doté d’une nouvelle coque de béton et ses équipements techniques. Dès la fin de 2024, celle-ci sera recouverte d’une structure de panneaux photovoltaïques de 4300 m² déjà surnommée « la Vague ». Prélude au nouveau rôle que la STEP est appelée à jouer pour son quartier et la Ville de Neuchâtel ! L’électricité d’origine solaire alimentera le site de jour, et le biogaz en fera de même la nuit.
Vingt ans de
réflexion
Les façades des nouveaux bâtiments évoqueront aussi le lac et ses ondulations.
Leur sous-couverture colorée, leur isolation et leurs perforations
participeront aussi à la valorisation énergétique et architecturale du
complexe. Le site sera aussi traversé par une passerelle entre ville et lac,
ouverte en permanence, y compris aux personnes à mobilité réduite.
Crédit image: Philippe Chopard
La construction du futur bâtiment de déshydratation a déjà commencé. Avec l’épaississement des boues et le traitement des résidus biologiques, le processus garantit le rejet d’eau propre dans le lac.
« Ce chantier est l’aboutissement de vingt ans de réflexion énergétique, explique encore l’ingénieur communal Antoine Benacloche. Il ne s’agit en effet plus de construire des STEP uniquement pour épurer les eaux usées. Il faut que les installations puissent aussi fournir de l’énergie. Du reste, la récupération de la chaleur des eaux traitées (d’une moyenne de 13 degrés) permet de les rejeter à une température plus proche de celle du lac. C’est un gain environnemental conséquent. » La faune et la flore lacustres, durement atteintes par le rejet des anciennes installations, en seront les bénéficiaires.
Pour relever ce défi écologique, les eaux traitées seront valorisées dès la fin de 2024 par une mégapompe à chaleur d’une puissance de 6 MW, produisant 75 % d’énergie de source renouvelable. Le fournisseur d’énergie affirme apporter ainsi une contribution décisive à la protection de l’environnement lacustre et à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Résidus
biologiques à traiter
La transformation de la STEP de Neuchâtel s’appuie aussi sur la valorisation du
biogaz, une préoccupation récurrente des autorités. Il s’agit de développer le
chauffage à distance dans un vaste périmètre de 350 bâtiments, parmi lesquels
figurent notamment le centre commercial et le stade de La Maladière.
Sur place, la construction du bâtiment réservé à la déshydratation a déjà débuté. Les anciens locaux d’exploitation sont en voie de transformation pour accueillir une installation dernier cri d’épaississement des boues d’épuration et de traitement des centras, soit des résidus du traitement biologique des eaux. Ceux-ci produisent en effet de l’ammoniac qu’il s’agit d’éradiquer par nitrification biologique. Tout se déroule en exploitation permanente, ce qui complique bien évidemment le chantier.
Au rez-de-chaussée des anciens locaux, un laboratoire analyse déjà les eaux usées en permanence, et sa domotique sera capable de détecter et signaler instantanément toute anomalie. La Ville de Neuchâtel va encore plus loin que la simple modernisation de sa STEP. Elle veut l’ouvrir davantage au public, notamment par la construction d’un pavillon d’accueil baptisé « le Galet ». Un bâtiment autosuffisant qui va allier technique et légèreté qui permettra à la Ville d’y développer des programmes pédagogiques en faveur de la protection de l’environnement. Les écoles et la population pourront découvrir les installations de l’intérieur sans que leur odorat soit trop incommodé. Dans les années 1990, la STEP avait déjà veillé à se débarrasser de ses miasmes…Dès 2025, elle entrera résolument dans le XXIe siècle.