La première gare CEVA sera mise en service en décembre
Le chantier CEVA avance à bon rythme. Au dernier pointage, mi-mai, l’avancement des travaux atteint 77% avec l’achèvement des ouvrages de génie civil, à l’exception du tunnel de Champel.
Depuis 2004 et l’attribution du concours à Jean Nouvel (Paris) et Eric Maria (Genève), les cinq gares helvétiques de CEVA attendaient la pose des fameuses briques de verre. Ce matériau original et translucide est la signature visuelle de la ligne genevoise. A la station des Eaux-Vives, les grandes parois sont désormais en place. Dans le secteur de La Praille, la pose de la charpente métallique de la gare de Lancy-Pont-Rouge est terminée. Cette gare sera d’ailleurs la première à être mise en service sur la ligne CEVA en décembre. Au total, 1500 parois de verre vont équiper l’ensemble des stations ferroviaires. Travaillées comme une sorte de mille-feuille de verre, ces briques créent, à la manière d’un kaléidoscope, une vision surprenante et lumineuse. Chaque élément mesure 5,4 m x 2,7 m et 45 cm de profondeur. La texture particulière des verres au centre des briques, moulés sur deux faces, pixélise la vision. A la station Champel-Hôpital (photo), les grandes parois qui jouent avec la lumière sont en cours d’installation.
Les gares, souterraines ou pas
Les gares, dont les dimensions varient de 220 à 420 m de longueur, sont souterraines hormis la gare de Lancy-Pont-Rouge et plus ou moins profondes : 7 m à Chêne-Bourg, 16 m à Carouge-Bachet et Eaux-Vives, jusqu’à 23 m à Champel-Hôpital. La lumière naturelle qui les traverse constitue donc un facteur essentiel, car, filtrée à travers les briques horizontales, la luminosité passe par des émergences en surface ou par les quais et s’infiltre ainsi dans toute la structure.
Chaque station se distingue en proposant une configuration géométrique et spatiale distincte.
Comme souvent pour les grands projets originaux qui comportent des techniques inédites et une longue évolution programmatique (huit ans dans le cas présent), le problème du surcoût s’est présenté. Lors du chiffrage initial en 2011, le dépassement financier était imaginé à 7,8 mio de francs. Mais en 2014, il était annoncé à 45 mio. De ce fait, le projet finalisé en 2014 avec 1900 briques en compte finalement 1500 … Comme à l’origine du concours. L’enveloppe budgétaire sera dépassée de 8 millions de francs. A titre de comparaison, le dépassement de budget du gros œuvre et creusement de tunnel s’élève à 200 mio.
Pour redimensionner le projet, il a fallu supprimer des briques de verre dans les stations souterraines. Ce sont celles qui servaient de plancher, les plus chères notamment à cause de la sécurité feu, mais également une partie des parois en décors extérieurs qui en ont fait les frais. Des éléments vitrés qui devaient enrober les éléments pare-feu ont également été éliminés, car d’une fabrication particulièrement onéreuse. D’autres mesures affectent la gare de Lancy-Pont-Rouge, la seule qui soit complètement aérienne. La grande marquise constituant le projet en 2011 a été remplacée par des marquises réduites qui surplombent uniquement les quais. Pour cette gare, la volumétrie a été redessinée, mais reste proche du projet du concours.
Transparence pixellisée
Chaque brique mesure 5,4 m × 2,7 m et se compose de quatre vitrages. Pour obtenir l’effet de transparence avec cette « déformation pixélisée » souhaitée par les architectes, ces derniers ont procédé à de nombreuses séries de tests, avec des verres moulés de différentes sortes. « Durant les huit ans de réflexion et d’étude, explique Eric Maria, architecte associé du consortium, les procédés ont évolué, les fabricants aussi, et certains produits et méthodes, valables au moment du lancement du projet et de l’appel d’offres, ont disparu en raison de l’arrivée de nouvelles normes et du marché. Les deux vitrages extérieurs de la brique sont en laminé de 2 × 12 mm d’épaisseur et c’est finalement un verre moulé de 5 mm, de type Karolit de Saint-Gobain, spécialement fabriqués pour le projet, qui a été réalisé sur mesure pour les deux couches intérieures, en deux pièces aboutées de 2,4 × 2,4 m. » Adapté pour le design du projet, le rouleau de moulage usiné pour ce verre est donc tout à fait spécifique. La pâte de verre Extra Clear, passée dans un double rouleau, puis étirée, coupée et calibrée suivant les demandes techniques spécifiques des architectes, est mise en caisse puis transportée en usine d’assemblage. La production a été réalisée, pour l’ensemble des 32 000 m2 de vitrages, en deux sessions de deux jours chacune. Très résistants aux chocs, les verres extérieurs sont fixés à l’aide de joints imperméables posés entre la brique et la charpente métallique visible, conçue pour résister à 300 Pascals de pression au vent. C’est le consortium des constructeurs HSZ (Hevron Sottas ZM) qui en a assuré le développement technique, la fabrication et le montage.
Tous les tests préalables
Avant de lancer la production, trois prototypes ont été mis en place durant six mois sur la future gare des Eaux-Vives et longuement examinés par la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (hepia), chargée d’établir des recommandations pour les adapter si besoin. L’hepia était notamment chargée de calibrer le système de filtrage et de produire des prescriptions d’entretien. Des capteurs fixés sur les vitres indiquaient si l’air se renouvelait bien par le biais des filtres. Ces données croisées avec celles récoltées sur une deuxième zone de test à Cointrin avec un caisson de récupération des poussières ont confirmé l’efficience technique des briques.
Lionel Rinquet, professeur à l’hepia et architecte chargé de l’étude, précise : « Les tests ont permis d’analyser les composants de l’air dans un espace confiné comme une gare, d’étudier l’impact de la poussière de fer induite par le freinage des trains sur les filtres et de déterminer à quelle vitesse la structure s’encrasserait. »
Exosquelette métallique
A la fin des travaux de génie civil, c’est une ossature métallique qui a été mise en place. Bernard Adam, chef de projet sur le CEVA, pour le bureau d’ingénieurs INGPHI, entre dans les détails : « D’habitude nos installations sont cachées. Cette fois-ci, l’ossature métallique fait partie intégrante de l’édifice et la charpente est visible. Sur la base du dossier des architectes, nous avons réduit la largeur de la structure pour la rendre la plus élégante possible. Elle n’excède pas 12 cm. Pour soutenir le poids des éléments en verre, il est imaginable au besoin de renforcer les tôles, mais elles resteront toujours à 12 cm. Ensuite, nous avons rendu les attaches esthétiques et harmonieuses, les boulons doivent être cachés ou apparaître de manière agréable visuellement. Nous avons également utilisé des joints négatifs de 60 mm pour qu’ils soient en harmonie avec la structure.
»Le poids de ces structures se monte à 3170 t, réparties sur les cinq gares, dont 1200 t rien pour que celle des Eaux-Vives, poursuit l’ingénieur de INGPHI La hauteur de l’ossature monte à 10,8 m. Les colonnes étant posées à un intervalle de 5,4 m et les traverses tous les 2,7 m, les briques de verre viennent s’insérer dans cet espace. Il a tout de même fallu une grue et un système de ventouse afin de les accrocher dans leur gabarit final. » De plus, la hauteur statique des sections des caissons varie selon la fonction de l’élément porteur : colonnes, traverses de toitures, sommiers de planchers et de passerelles, filières, pannes et solives. « Ils sont modulables et disparaissent dernière les briques de verre », précise Bernard Adam.
"ça c'est inédit"
La stabilité des ossatures métalliques est assurée par des contreventements et par des angles de cadres rigides. Une telle structure a demandé des analyses structurales poussées, qui ont pu être effectuées à l’aide de modèles d’éléments finis en 3D. Les calculs dynamiques ont permis d’évaluer la sensibilité aux tremblements de terre, au vent et au passage des piétons. L’instabilité a été simulée numériquement par des calculs non linéaires. A l’hepia, Lionel Rinquet souligne encore l’ambition d’un tel projet : « Ce genre de vitres avec une double peau respirante est déjà expérimenté sur quelques bâtiments, comme sur les façades de la banque Pictet aux Acacias. Mais utiliser cette technique à la fois sur les façades, les plafonds, à l’horizontale et à la verticale, à l’intérieur et à l’extérieur … Ça c’est inédit ! »