Halle géante de Bombardier Transport inaugurée
Bombardier Transport a inauguré fin septembre sa nouvelle halle de 6000m2 destinée à la production des trains à deux étages. Batimag avait visité le chantier il y a moins d’un an. Découvrez, ou redécouvrez les enjeux de la construction du site de Villeneuve.
Par Jean-A. Luque
Le compte à rebours est lancé. Les CFF veulent mettre en service leurs nouveaux Intercity TWINDEXX Swiss Express dès fin 2016. Ce ne sont pas moins de 59 rames, composées de 436 voitures entièrement climatisées qui comptent plus de 36'000 sièges, que les CFF ont commandé au fabriquant Bombardier Transport. La valeur totale de cette opération, considérée par beaucoup comme le contrat du siècle,s’élève à 1,8 milliards de francs. Un contrat qui comprend également des options pour plus de 100 trains additionnels. Et c’est notamment à Villeneuve (VD) que Bombardier va assembler et tester ces trains à deux étages TWINDEXX. Des trains qui feront jusqu’à 400 m de long!
Ces trains nouvelle génération, plus économes en énergie de 10%, seront capables d’atteindre 230 km/h. Mais surtout, grâce à un ingénieux système de compensation du roulis, ils pourront négocier les courbes 15% plus rapidement tout en maximisant le confort des passagers. Pour être en mesure de répondre à ce défi technologique de pointe et à ces dimensions hors normes, la société a dû agrandir et remodeler son site industriel au bout du lac Léman. Ces travaux spécifiques, lancés en 2013, doivent s’achever fin décembre.
Terrain meuble et gorgé d’eau
«L’élément le plus visible de du chantier en cours est la nouvelle halle d’assemblage, explique Danilo Marra, ingénieur civil chez ESM-Hagin, chef de projet en charge de la direction des travaux. Cette halle de 222 m de long sur 27 de large et haute de 13 m sera mise en service dès janvier 2015. Mais cette nouvelle halle s’inscrit dans un réaménagement plus global du site.En effet, nous avons également créé un réseau de 2,6 km de voies ferrées extérieures avec notamment une voie d’essai électrifiée de 400 m et deux voies de stockage de 450 m chacune. Le tout a dû être réalisé alors même que le site industriel n’a jamais cessé ses activités.»
La région de Villeneuve, dans le Chablais, présente la particularité d’être à l’embouchure de la vallée du Rhône. Le terrain composé d’alluvions y est particulièrement meuble. «Les fondations, confirme Danilo Marra, ont été un des aspects critiques de notre travail. Il y a bien sûr la nature du terrain dont nous avons dû tenir compte, mais aussi le fait que dans cette zone la nappe phréatique est très proche de la surface. Des sondages ont montré que sous une partie de la halle, il y a des risques de liquéfaction potentielle.»
Vases communicants
Sur ce terrain plat, il a donc fallu imaginer et mettre en place une gestion des eaux particulièrement efficace. Pour cela, il a été nécessaire de creuser 3 bassins de rétention reliés entre eux de manière à créer un système de vases communicants, ainsi que tout un système de tranchées drainantes et d’infiltration. L’idée est de stocker le plus possible grâce aux bassins. En cas de trop plein, le surplus peut se déverser dans les cours d’eau du Pissot au nord et de l’Eau froide au sud.
«Pour faire face à ce problème de nappe phréatique proche de la surface, nous avons également décidé de surélever le plus possible la halle d’assemblage, ajoute Danilo Marra. Compte tenu de la pente maximale pour faire circuler les rames et rejoindre le raccordement des voies ferrées extérieures, nous avons pu gagner 40 cm de hauteur. Au printemps dernier, nous avons dû faire face à de fortes pluies. Cela a permis de tester notre système et de constater qu’il fonctionne très bien.»
ESM-Hagin ingénieurs SA, avec ESM-Sarrasin ingénieurs SA et ESM-ingénieurs associés SA, forme ESM-Group qui compte une quarantaine de collaborateurs au total. ESM-Hagin a pu faire valoir cette expertise hydraulique et environnementale de manière plus large. En effet, la société s’est vue mandaté entre temps par les autorités de Villeneuve pour élaborer un concept général de gestion des eaux de la zone industrielle de la commune. Un concept qui à n’en pas douter va s’inspirer du chantier Bombardier.
Forêt de pieux à refoulement
Une fois le problème de gestion des eaux réglé, il a fallu s’attaquer aux fondations même de la halle. Pas moins de 343 pieux à refoulement ont été plantés. D’un diamètre de 53 cm, la majorité des pieux fait 20 m de profondeur. 140 d’entre eux sont même nettement plus longs: 26 m. Au total, cette forêt de pieux de 7'300 m a nécessité 100 t d’armatures. Pour le radier et les fosses de la halle, 280 t d’acier ont été nécessaires et 2800 m3de béton ont été coulés.
La halle métallique en elle-même est assez dépouillée à l’intérieur. Elle se compose de trois voies ferrées. Une toute simple pour le stockage. Les deux autres ont une fosse de 1,6 m de profondeur et longue de 210 m pour l’inspection des trains. L’une permettra de faire du testing en statique. L’autre sera électrifiée à 15kV pour permettre le contrôle des CFF à la réception du train. Un grillage de protection et un système de sécurité sera également installé entre ces deux voies.
Deux ponts roulants seront intégrés dans la structure métallique. Un seul niveau de locaux techniques est prévu pour l’instant. Mais, tout est d’ores et déjà prévu pour une extension possible de deux étages supplémentaires.
Bombardier est une multinationale avec des représentations dans de nombreux pays. Le projet TWINDEXX est la réunion de nombreux savoirs faire éparpillés en Suisse et en Europe. La gestion propre du projet est prise en charge par le site de Bombardier de Zurich. L'usine de Villeneuve - seul site de production ferroviaire dans l'ouest de la Suisse – est elle responsable de la production des véhicules, en collaboration avec le site de Görlitz, qui se chargera en outre du processus d'ingénierie. Le site de Winterthur, quant à lui, se chargera de la conception des bogies, tandis que leur production aura lieu à Siegen, en Allemagne. Le site de Västerås, en Suède, est lui chargé de produire le système de traction axé sur les très efficaces moteurs à aimant permanent.
Gestion sismique pragmatique
Au stade du chantier, il a été envisagé un temps qu’un bureau français gère la construction de la halle. Une démarche intéressante qui a toutefois mis en avant une philosophie de travail différente entre les systèmes français et helvétique. «Cela a notamment été le cas dans la gestion du risque sismique, explique Arnaud Wiesmann du bureau AW Ingénieurs-Conseils SA qui a travaillé en appui au maître de l’ouvrage. En France, historiquement, notamment parce qu’ils ont construit énormément de centrales nucléaires, ils partent du principe qu’une construction industrielle doit résister à un tremblement de terre et être capable de rester en service sans discontinuer. En Suisse, nous sommes beaucoup plus pragmatiques. On accepte qu’une halle industrielle se déforme et soit hors service pendant un temps. La seule priorité, c’est de sauver les personnes qui s'y trouvent, donc qu’elle ne s’effondre pas. Et cela fait totalement sens. Il ne s’agit pas d’un hôpital qui doit pouvoir rester fonctionnel.»
On s’en doute ces deux approches divergentes entre la France et la Suisse se traduisent également par des calculs de fondations totalement différents. Des coûts aussi… Question coût justement, les travaux entrepris par Bombardier sur ce site de Villeneuve sont estimés à 16 millions. Dix pour la halle et la charpente. Six pour les extérieurs qui comprennent les voies ferrées et aiguillages, la gestion des eaux claires, et l’agrandissement des parkings.