L’Empa plaide pour une densification du bâti ciblée et durable
Longtemps, les nouveaux logements étaient construits essentiellement sur des parcelles à bâtir fraîchement viabilisées. Aujourd’hui, la situation est différente : priorité est donnée à la densification dans les villes. Une étude menée par le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa) s’est penché sur cette densification et sur la manière dont celle-ci peut être mise en œuvre de manière durable. Les scientifiques plaident pour qu’une plus grande attention soit accordée à la conservation de la structure existante lors de la rénovation des bâtiments afin d’économiser l’énergie grise.
Crédit image: Dominique Meienberg
La stratégie de densification modérée consiste à rénover le bâti existant et à le compléter par des éléments de nouvelle construction, notamment par le biais de surélévations. Le complexe pour personnes âgées Irchel à Zurich en est un exemple. Le lotissement, datant du début des années 1970, a été rénové en trois étapes entre 2004 et 2007, avec l’ajout de structures en bois.
La stratégie de densification modérée consiste à rénover le bâti existant et à le compléter par des éléments de nouvelle construction, notamment par le biais de surélévations. Le complexe pour personnes âgées Irchel à Zurich en est un exemple. Le lotissement, datant du début des années 1970, a été rénové en trois étapes entre 2004 et 2007, avec l’ajout de structures en bois.
Quelque 8,7 millions de personnes vivent aujourd’hui en Suisse, et ce chiffre augmente d’environ 1 % chaque année. Ainsi, les besoins en logements s'accroissent, non seulement en raison du boom démographique, mais aussi parce que la population réclame toujours plus de surface habitable. Aujourd'hui, en moyenne, chaque habitant a besoin de 46 m2 de surface habitable. Ce besoin est couvert dans une grande mesure par de nouvelles constructions. En 2019 – le dernier chiffre disponible –, 11’000 nouveaux bâtiments sont sortis de terre en Suisse.
Cette frénésie de construction a différents visages. L'un d'entre eux est constitué par les lotissements de maisons individuelles qui défigurent le paysage. Toutefois, de nouveaux logements peuvent également être créés dans les zones d’habitation existantes, que ce soit par de nouvelles édifications ou par l’aménagement et la transformation de bâtiments. Cette densification de quartiers existants offre un grand potentiel, mais souffre également de limites, lesquelles sont définies par le coefficient d’utilisation fixé dans chaque plan de zone. Ce chiffre détermine la surface habitable pouvant être construite sur une surface de terrain donnée. Il détermine également le nombre approximatif de personnes pouvant y habiter.
Densifier de
manière durable
De nombreux architectes ont aujourd’hui pour objectif de consommer le moins
d’énergie et de matériaux possible afin de travailler de la manière la plus
durable possible. Des scientifiques de l’Empa ont étudié la question dans le
cadre d’un projet de recherche réalisé en collaboration avec les bureaux
d’architectes et d’urbanistes zurichois « KCAP » et « Wagner Vanzella
Architekten ». L’équipe s’est concentrée sur des quartiers comprenant des
immeubles collectifs construits entre 1946 et 1980. Par rapport à l’ensemble du
parc immobilier suisse, un peu plus de 30 % des bâtiments d’habitation datent
de cette période.
Crédit image: OFS
Au moins 30 % des bâtiments en Suisse ont été construits entre 1946 et 1980. C’est sur eux que les rénovations et transformations doivent se concentrer en priorité.
L’accent mis sur les quartiers de l’après-guerre s'explique pour deux raisons comme le souligne Michael Wagner, copropriétaire de « Wagner Vanzella Architekten » : « De nombreux quartiers datant de cette période doivent aujourd’hui faire l’objet d’une rénovation fondamentale, laquelle s’accompagne d’un important potentiel d’économies d’énergie. De plus, les quartiers et les ensembles résidentiels de l’après-guerre ont généralement été réalisés sous forme de grands ensembles qui, aujourd’hui encore, n’appartiennent qu’à une poignée de propriétaires. » Selon Michael Wagner, parvenir à les convaincre d’opter pour une rénovation et une densification durables aurait un impact important sur la consommation de ressources.
En s’appuyant sur des données cadastrales et géographiques, l’équipe de recherche a localisé dans tout le pays ces quartiers composés principalement d’immeubles collectifs construits entre 1946 et 1980 et comprenant chacun environ 150 à 200 habitants. Elle a ensuite calculé combien de logements la densification pourrait permettre d'y créer. Le potentiel est énorme. En tenant compte des coefficients d’utilisation (jusqu’à environ 2,0 au maximum) et des pratiques en vigueur, pas moins de 700 000 personnes supplémentaires pourraient y être logées !
Jusqu’à 1,4
million de personnes
Et cela peut même doubler. En effet, deux fois plus de logements pourraient
être réalisés avec une stratégie de densification « concentrée » basée sur des
plans d’affectation spéciaux avec des coefficients d’utilisation de 2,0 à 3,0.
« Plus de la moitié de ce potentiel se trouve dans des endroits centraux ou
proches des centres, bien desservis par les transports publics, qui devraient
être considérés en priorité selon notre recommandation pour une densification
durable », écrivent les auteurs dans le rapport final du projet de l’OFEN.
L’importance de
l’énergie grise
Mais comment organiser cette densification de manière durable ? Les chercheurs
ont évalué les conséquences des différentes stratégies de densification sur la
consommation d’énergie. Ils ont considéré d’une part la consommation d’énergie
pour le chauffage et le refroidissement, et d’autre part l’énergie grise qui
doit être dépensée pour la production des matériaux de construction et pour les
travaux de construction ou de rénovation. Pour déterminer la consommation
d’énergie, les chercheurs ont notamment utilisé le logiciel de simulation
énergétique CESAR-P. Ce logiciel permet de calculer la consommation d’énergie
d’un bâtiment. Ils ont ensuite extrapolé les résultats obtenus dans des
quartiers témoins à l’ensemble de la Suisse.
Crédit image: OFS
Une évaluation de l’Office fédéral de la statistique s’est attachée à regrouper les surfaces habitables des personnes vivant dans des immeubles. Entre 2012 et 2018, la tendance dans des villes comme Bâle et Genève, mais également à Berne, était à un léger recul. Mais la soif d’espace est repartie à la hausse ces dernières années.
Le résultat a réservé quelques surprises. A priori, les stratégies de densification étudiées ne différaient pas de manière significative en termes de consommation d’énergie par habitant. « Pourtant, en comparant les différentes stratégies de densification, constate Sven Eggimann, chercheur à l’Empa, la consommation plus élevée d’énergie d’exploitation des bâtiments existants rénovés est contrebalancée par l’énergie grise des matériaux utilisés dans les nouvelles constructions. »
Surfaces à
réduire
Le plus grand levier pour la réduction de la consommation d’énergie ne réside
pas dans la stratégie de densification choisie, explique Sven Eggimann, mais
dans la surface habitable que chacun occupe : « Le débat public devrait se
focaliser davantage sur la manière dont nous pouvons stopper la tendance à
l’augmentation des besoins en surface habitable par habitant ! » Les premiers
signes d’un changement de mentalité sont déjà perceptibles : contrairement aux
décennies précédentes, la surface habitable par personne n’augmente plus que
faiblement aujourd’hui et recule même légèrement dans des villes comme Bâle et
Genève. Ainsi, les logements coopératifs sont aujourd'hui souvent construits
plus petits qu’au cours des années précédentes.
Outre le nombre d’habitants, qui permet différentes stratégies de densification, et la consommation de surface par personne, le choix de matériaux durables pour la rénovation ou la construction de bâtiments joue un rôle majeur. On sait par exemple que la production de ciment nécessite beaucoup d’énergie et génère d’importantes émissions de CO2. L’utilisation de méthodes de construction aussi durables que possible permet donc d’économiser de l’énergie, argumente-t-on volontiers. Les chercheurs ont trouvé confirmation de cette estimation dans leur étude. Selon leurs calculs pour des quartiers témoins, les émissions de gaz à effet de serre peuvent être réduites de 6 à 7 % sur le cycle de vie d’un bâtiment si, dans le cadre d’une densification, toutes les nouvelles constructions sont réalisées en bois plutôt qu’en béton. Le choix des matériaux de construction a une influence sur la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, écrivent les chercheurs dans le rapport final de l’OFEN, mais ils estiment que cette influence est « relativement faible » dans le cadre d’une vision globale de la densification durable. N
Rapport final disponible ici