La construction à la veille d'un ralentissement au premier trimestre 2022
Gros œuvre et second œuvre en Suisse risquent d'enregistrer une baisse du volume d’affaires. Les projets de logements collectifs sont en recul. Les investissements dans la construction industrielle ont stagné au premier trimestre 2022 et ils restent rares en ce qui concerne les bureaux et hôtels. Les banques centrales commencent à serrer la vis des taux d'intérêt.
Crédit image: Jean-A. Luque
Toujours plus cher! Les prix des logements ont atteint des niveaux record en février. Et cela risque bien de continuer. Seule une hausse massive des taux d'intérêt, et donc une nette hausse des coûts de financement, pourrait enrayer cette spirale.
Dans le secteur suisse de la construction et du second œuvre, ce début d'année 2022 se révèle plutôt timide et les investissements dans le bâtiment risquent de se faire plus rares. Sur la base des demandes d’autorisation de construire, le volume d’affaires total destiné à la construction de bâtiments a baissé de 5,6 % au premier trimestre par rapport à la même période de l'année précédente.
La construction résidentielle reste encore un gage de stabilité, avec une hausse globale de 2,7 % au cours de ces trois premiers mois. Les investissements pour des immeubles collectifs marquent néanmoins le pas et stagnent à +0,8 % seulement. Les montants consacrés aux seules constructions neuves a reculé de 1,3 %, quoique toujours en hausse par rapport au trimestre précédent. Seuls les investissements prévus dans le domaine des rénovations, extensions et transformations sont en hausse. Ce secteur poursuit sa croissance solide, avec une augmentation de 8,1 % en comparaison avec le 1er trimestre 2021. Par rapport au trimestre précédent, le montant alloué aux projets de transformation dans le segment des maisons individuelles a même progressé de 18,6 % !
Vent en poupe pour
la rénovation énergétique
Les projets de rénovation énergétique des bâtiments devraient connaître un
essor considérable dans les années à venir. Après le rejet de la révision
totale de la loi sur le CO2 lors de la votation populaire de l'année dernière,
le Parlement a rapidement mis en place un nouveau projet. Celui-ci prévoit
également des modifications de la loi sur l'énergie et de la loi sur la
protection de l'environnement. Les principaux aspects abordés durant la
procédure de consultation portent notamment sur la prise en compte de l'énergie
grise dans la planification des nouvelles constructions de remplacement et sur
l'augmentation du taux d'assainissement. En 2025, la loi révisée devrait
remplacer les règles actuellement en vigueur.
L'offre de logements locatifs reste assez limitée dans les villes. En comparaison annuelle, les loyers ont augmenté de plus de 2 % à Zurich, Berne et Lugano, alors qu'ils ont régressé à Genève, Lausanne et Lucerne. En début d'année, les loyers des appartements disponibles sur le marché ont connu une légère hausse en Suisse. Etabli par la plateforme Internet Homegate et la Banque cantonale de Zurich (ZKB), l'indice du marché des loyers enregistre une hausse de 0,26 %, soit 0,3 point en janvier pour atteindre 116,7 points. C'est à Berne que les loyers ont connu la plus forte croissance (+1,0 %). Si on considère l'ensemble de l'année dernière, l'indice a augmenté de 1 % en Suisse. Faute d'opportunités d'investissement, les immeubles collectifs ont continué sur leur lancée, ce qui a fait une fois de plus grimper les prix. De manière parfois hallucinante. Ainsi, dans la commune zurichoise de Zumikon, un acheteur a récemment acquis un bâtiment de pompiers inutilisé abritant quelques appartements pour un montant deux fois et demi plus élevé que celui fixé par la commune, comme le déclare CSL Immobilien AG, une société appartenant à la Banque Migros. Le prix : 21 millions de francs !
Les prix des maisons individuelles ont eux aussi affiché une forte dynamique. Selon une étude réalisée par Homegate et le Swiss Real Estate Institut dans les régions de Berne, du lac Léman, de la Suisse du Nord-Ouest et de Zurich, le prix des villas a progressé en moyenne de 8,3 % en 2021. Avec une augmentation de prix de 11 %, le nord-ouest de la Suisse a connu la plus forte hausse des prix, contre 7,7 % à Zurich.
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Les investissements publics (ici la réfection du Grand-Pont à Lausanne) pourraient ne pas suffire à compenser le volume d’affaires à la baisse dans la construction.
La forte demande en maisons avec terrain devrait stimuler la construction. On prévoit ainsi des investissements majeurs dans le segment des maisons individuelles. Selon les chiffres de Docu Media Suisse Sàrl, les demandes de permis de construire déposées sont en augmentation de 8,5 % par rapport au même trimestre de l'année précédente. Comparativement au premier trimestre 2021, période marquée par la pandémie de coronavirus, les secteurs des nouvelles constructions et celui des rénovations ont tous deux enregistré une croissance. Les villas s'en sortent encore mieux qu'au trimestre passé, avec notamment une forte augmentation du montant consacré aux rénovations (+21,5 %) après avoir connu un dernier trimestre très médiocre en 2021.
Prix records !
Globalement, les prix de l'offre pour les logements en propriété ont à nouveau
atteint un nouveau niveau record en février. D'après la société de conseil
immobilier Iazi, aucune fin de la hausse des prix n'est en vue. Seule une
hausse massive des taux d'intérêt, et donc une nette hausse des coûts de
financement, pourrait enrayer cette spirale.
Les tendances du marché de l’habitat ont indirectement un impact sur l'immobilier de bureau. En effet, les investisseurs n'ayant pas trouvé leur bonheur dans le logement se sont progressivement tournés vers ce secteur. Selon CSL Immobilien AG, les entreprises miseraient davantage sur l'immobilier commercial et logistique, afin de tirer profit de l’essor du commerce en ligne. Les entreprises ciblent désormais leur demande sur des emplacements stratégiques. C'est pourquoi la majorité des surfaces de bureaux disponibles au cours des six derniers mois se situent hors des centres. Dans la région économique de Zurich, le total des surfaces de bureaux proposées à la location a augmenté de 12 % au cours des six derniers mois par rapport à l'année précédente, selon CSL. Une augmentation similaire a été enregistrée dans la région de Berne (+14,0 %) et à Genève (+12,0 %). Les investisseurs sont toutefois prudents et se montrent moins disposés à se lancer dans de nouvelles constructions. En comparaison avec le même trimestre de l'année écoulée, le volume des projets de bureaux a diminué de 35,5 %. La situation n'est guère plus réjouissante si l'on compare les chiffres avec la moyenne à long terme, avec un résultat de 27,1 %. Seule consolation, le secteur est parvenu à enrayer la chute, dans la mesure où il affiche une baisse limitée à 5,6 % par rapport au dernier trimestre.
L’inflation
menace
La situation sur le marché des matériaux de construction, dont les produits en
acier, en plastique et en bois, s'est une fois de plus aggravée, alors même
qu'en début d’année les chaînes d'approvisionnement avaient partiellement
repris leur élan. Les interruptions de livraison et les pertes de personnel à
la suite de la pandémie, tout comme le boom de la construction aux Etats-Unis
et en Chine, avaient déjà entraîné une hausse des prix des matériaux dans le
monde entier ces deux dernières années.
La guerre en Ukraine a provoqué une nouvelle hausse des prix de l'énergie, si bien qu'en Suisse, l'inflation a atteint la valeur de 2,2 % en février, dépassant ainsi pour la première fois depuis plus de 13 ans la barre des 2 % (janvier : 1,6 %). En mars, le taux était de 2,4 %. Qui plus est, le conflit a provoqué des fluctuations du taux de change. Les entreprises industrielles helvétiques ont vu leurs marges s'effondrer à plusieurs reprises. Maintenant, c’est au tour des autorités monétaires de réagir aux taux d'inflation élevés, mais il leur faudra faire preuve de doigté pour augmenter les taux d'intérêt sans étouffer l'économie. Alors que la Banque nationale suisse n’a pas encore touché aux taux d'intérêt, la Réserve américaine a déjà procédé à une première hausse en mars. La Banque centrale européenne a elle aussi annoncé une hausse pour juillet. En début d'année, le secteur industriel se montrait plutôt sceptique face à la reprise rapide et annoncée de l'économie. Les deux premiers mois se sont révélés une succession de hauts et de bas. Finalement, les investissements dans le parc immobilier ont eux aussi fait du surplace au premier trimestre (+0,3 %) si on les compare à l'année précédente. L’investissement total est quant à lui demeuré largement inférieur à la moyenne à long terme. Néanmoins, l'industrie est persuadée d'être dans une phase de croissance. Etabli en commun par Credit Suisse et Procure, l'association professionnelle pour les Achats et le Supply Management pour l’industrie, l'indice des directeurs d'achat (PMI) affiche une augmentation de 1,4 point pour le secteur industriel en mars, pour atteindre 64,0 points. Toute valeur supérieure à 50 points est considérée comme un signe de croissance.
Bonne saison
touristique, mais pas d’investissements
La saison d'hiver a permis au secteur touristique de reprendre le dessus. A fin
janvier, les remontées mécaniques avaient enregistré une progression d'environ
40 % par rapport à l'année précédente, comme l'a indiqué leur association
faîtière. La tendance positive s'est poursuivie en février et mars. Dans
l'ensemble, les résultats de la saison dépassent les moyennes quinquennales, et
cela dans de nombreuses régions. Seul le Tessin n'a pas pu tenir le rythme.
Le secteur de l'hébergement a lui aussi tiré profit de cette bonne évolution. Le nombre de visiteurs en provenance de Suisse a augmenté de 12 % au cours des trois mois d'hiver, comme le révèle la statistique suisse de l'hébergement touristique de Suisse Tourisme, qui compare les nuitées avec la saison avant pandémie (mars : estimation selon les chiffres de l'OFS). Néanmoins, les hôtes d'outre-mer continuent de faire défaut (-27,0 %), ce qui se traduit par une baisse globale de 9,0 %. La petite lueur d'espoir de cet hiver n'a pas suffi à convaincre les investisseurs. De fait, le nombre de projets de construction d'hôtels reste modeste, le montant total alloué au secteur ayant même chuté à son niveau le plus bas des dix dernières années.
Malgré les efforts des pouvoirs publics, les projets étatiques ne devraient pas être en mesure de favoriser l'évolution conjoncturelle dans le secteur de la construction cette fois-ci. Comparativement au même trimestre de l'année précédente, les investissements dans le secteur de la santé ont connu une augmentation, mais ils sont toutefois partis d'une valeur exceptionnellement basse. Dans l'ensemble, le volume total des constructions est resté nettement inférieur à la moyenne à long terme. De même, les projets dans la construction de bâtiments scolaires ont reculé et sont loin d'atteindre la moyenne à long terme.
Premiers
relèvements de taux
Les perspectives pour la conjoncture de la construction demeurent intactes dans
l'ensemble. Pour la Suisse, le groupe d'experts de la Confédération prévoit en
2022 une croissance du produit intérieur brut (PIB) réel légèrement inférieure
à 3,0 %. Trois mois plus tôt, les prévisions étaient de plus 3,2 %, et en
septembre, elles tablaient sur une progression de 3,4 % (2023 : +1,7 % encore
inchangé). Les économistes du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de
l'EPF de Zurich se disent confiants dans la croissance de l'économie suisse,
malgré la guerre en Ukraine. Dans le cadre d'un scénario favorable, l'économie
suisse devrait croître de près de 3 %, selon les prévisions conjoncturelles du
KOF. Si par contre la crise ukrainienne devait s'étendre, le scénario négatif
table sur une croissance fortement ralentie du PIB avec seulement 1,1 %.