« Il est temps d’accélérer le rythme de la production d’électricité »
Michael Frank, directeur de l’Association des entreprises électriques suisses (AES) depuis 2011, revient sur les risques de pénurie énergétique auxquels notre pays a été confronté cet hiver. Dans une chronique, il plaide pour un développement massif et coordonné du secteur électrique.
Crédit image: AES
Le directeur de l’AES plaide pour une expansion importante et organisée du secteur électrique pour éviter les risques de pénurie.
Pénurie
d’électricité, contingentements et délestages de réseau: ces gros titres,
écrits bien en gras, faisaient les unes des journaux il y a encore six mois. A
cette époque, la Suisse et l’Europe craignaient de devoir passer l’hiver
congelées et dans le noir. Aujourd’hui, le joli mois de mai arrive à grands
pas, et la saison froide touche définitivement à son terme.
Quoique, en fin de compte, cet hiver n’a dans l’ensemble même pas été si froid.
Quel heureux hasard cela a été! Car ainsi, les besoins en chauffage et,
partant, aussi en énergie sont restés modérés. Si l’hiver avait réellement bien
porté à son nom, nous ne nous en serions peut-être pas tirés à si bon compte.
Pénurie :
les mises en garde sont réelles
Pourtant, il serait erroné d’écarter désormais les mises en garde de
l’Association des entreprises électriques suisses AES, d’OSTRAL (Organisation
pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise) et de la Confédération
en ne les voyant que comme des prévisions alarmistes. Le risque de pénurie
d’électricité pendant l’hiver 2022/23 était réel et important, et il le reste
aussi pour l’hiver prochain. Et puis: la météo ne sera pas toujours aussi douce
qu’à l’hiver 2022/23. En effet, la Suisse reste importatrice nette
d’électricité en hiver, car elle n’est pas en mesure de produire suffisamment
d’électricité issue de sources énergétiques indigènes pendant les mois de
février à avril. Le développement d’installations de courant solaire et
d’éoliennes nécessaires à cet effet est à la traîne par rapport aux besoins ou
est bloqué par voies institutionnelles.
Un coup d’accélérateur
Etant donné que les besoins en électricité vont fortement augmenter à l’avenir
en raison de l’avancée de la décarbonation des transports et du chauffage, le
besoin d’agir est urgent. Dans son étude «Avenir énergétique 2050», l’AES a
examiné, en collaboration avec l’Empa, différents scénarios présentant à quoi
pourrait ressembler l’approvisionnement énergétique de la Suisse jusqu’en 2050.
La conclusion est sans appel: sans une accélération massive du développement de
la production, une hausse massive de l’efficacité, une extension et une
transformation ciblées des réseaux, ainsi qu’un échange étroit d’énergie avec
l’Europe, la Suisse n’atteindra pas ses objectifs énergétiques et climatiques.
Une
modernisation urgente
Au cours de
l’année dernière, le thème de la sécurité d’approvisionnement s’est
définitivement retrouvé sous les feux de la politique et du grand public. Afin
de garantir cette sécurité d’approvisionnement, il faut, en plus du
développement de la production, un réseau qui transporte et distribue le
courant. Or notre réseau vient d’une époque où de grandes installations
centralisées produisaient du courant électrique qui arrivait ensuite aux
consommateurs finaux via plusieurs niveaux de réseau. Ce réseau n’est plus
adapté pour absorber tous les futurs flux de charge, par exemple provenant du
refoulement d’installations photovoltaïques privées ou d’applications
bidirectionnelles de véhicules électriques. S’ajoute à cela que toutes les
nouvelles installations de production décentralisées ont aussi besoin d’un
raccordement au réseau afin de pouvoir y injecter le courant qui n’est pas
consommé sur place. Le réseau existant doit par conséquent être étendu
d’urgence, adapté aux besoins des nouvelles structures décentralisées et
modernisé. Pour cela, un véritable «express réseau» est nécessaire.
Prévenir plutôt que guérir
Même si la pénurie d’électricité ne s’est pas produite l’hiver passé et que le
courant disponible a toujours été suffisant, impossible de dire que «tout
n’était en fait pas si grave»: simplement, un peu de temps supplémentaire nous
a été offert. Utilisons-le pour adapter notre système aux nouvelles réalités et
pour réduire le risque de pénurie d’électricité à un niveau minimum. Les
préparatifs et les plans pour l’hiver passé nous serviront à coup sûr aussi
l’hiver prochain. Mais notre objectif doit être d’en arriver au point où nous
ne devrons même plus discuter du thème de la pénurie d’électricité. La
direction est claire. Il s’agit maintenant d’accélérer le mouvement!
Une longue expérience dirigeante
Né en 1963, Michael Frank dirige l’Association des entreprises électriques suisses (AES) depuis 2011. Avocat, il dispose aussi d’une vaste expérience professionnelle dans le secteur de l’électricité et sur les marchés en cours de libéralisation. Michael Frank a notamment été chef de la gestion de la réglementation (Regulatory Management) du groupe Axpo.. Auparavant, il avait dirigé pendant plusieurs années les affaires régulatoires (Regulatory Affairs) chez Swisscom Fixnet SA et avait travaillé comme collaborateur scientifique à l’Office fédéral de la communication.