Le béton brut de la gare haute du Salève retrouve la lumière
La gare
supérieure du téléphérique du Salève, en Haute-Savoie, retrouve son cachet de
béton brut, selon la réalisation de son constructeur, l’architecte genevois
Maurice Braillard. Le bâtiment pont ouvert en 1932, inachevé à son origine, est
désormais complet, avec notamment l’ouverture d’un restaurant panoramique et
d’une terrasse sommitale. Ces travaux de réhabilitation, menés par un
groupement franco-suisse, ont duré deux ans.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
La gare haute s’avance audacieusement dans le vide pour offrir un point de vue exceptionnel sur Genève et son agglomération.
Les Genevois ont tendance à se l’approprier. Mais le Salève est bel et bien sur territoire français. Cela même si les travaux de revalorisation de son téléphérique sont menés par un maître d’ouvrage franco-suisse, composé de l’Etat de Genève, de l’agglomération d’Annemasse et, pour une toute petite part, de la commune de Monnetier-Mornex, sur le territoire de laquelle se trouve la station supérieure. Plus de 200 ouvriers employés par 50 entreprises y ont contribué.
C’est un chantier atypique, emblématique et surtout complexe qui a démarré au Salève en 2021. Atypique surtout par le fait qu’en gare haute, il fallait terminer le travail imaginé par l’architecte genevois Maurice Braillard au début des années 1930. En effet, le restaurant construit à l’époque n’avait pas pu ouvrir ses portes et l'hôtel projeté n’y avait jamais vu le jour. « Personne ne sait pourquoi le concepteur de la gare supérieure n’est pas allé au bout de ses intentions », explique Anne-Joëlle Rosay Baud-Grasset, directrice du patrimoine d’Annemasse Agglo et cheffe de ce projet de valorisation d’une remontée mécanique chère aux Genevois et à la Haute-Savoie.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
La gare haute a été conçue comme un bâtiment-pont. Cependant, elle n’avait jamais été terminée dans les années 1930.
Le changement des câbles et des équipements électromécaniques du téléphérique du Salève en 2015 a donné le ton. Immédiatement, le maître d’ouvrage franco-suisse propriétaire du téléphérique lançait les premières études pour rénover les deux gares. « Nous avions le choix entre une rénovation classique et une revalorisation du site, surtout dans sa partie supérieure, indique encore Anne-Joëlle Rosay Baud-Grasset. Forts d’une fréquentation annuelle moyenne de 150 000 personnes, nous avons opté pour la seconde voie. » La planification du chantier a ainsi profité de multiples compétences, que ce soit dans le domaine de la sauvegarde du patrimoine et au plan technique.
En particulier, le bâtiment pont du sommet du téléphérique devait retrouver son cachet architectural. Il s’agissait de le désencombrer de toute une série de constructions hétéroclites réalisées au début des années 1980. Les responsables du projet ont relevé le défi de rénover une construction en béton brut, inscrite en 2018 au titre des monuments historiques et… inachevée à son origine. En 1982, la dernière rénovation avait notamment recouvert les façades d’un bardage métallique, et – sur 1500 m² – d’un enduit destiné à protéger son béton ! Il fallait donc retrouver le matériau d’origine, en évaluer l’état de conservation et le restaurer au besoin. Un exercice difficile, mené par le bureau d’architectes parisien DDA Devaux et Devaux. Fort heureusement, le bâtiment était encore en très bon état. Cela malgré une exposition permanente à des vents parfois violents, au gel et à la neige en hiver.
Un enduit à enlever
Le processus de déconstruction de la gare haute a été amorcé en octobre 2021.
L’année dernière, le chantier s’est attaqué à l’enduit de 1982, épais de 3 cm.
Une fois ce dernier enlevé, le béton d’origine a pu être ausculté et au besoin
traité. Il a fallu d’intenses recherches en Haute-Savoie pour trouver le
matériau moderne propre à s’intégrer au mieux dans la structure d’origine. Le
béton brut de 1932 a été poncé et sablé pour être ensuite réhabilité. Sur
place, il n’est pas évident de distinguer les interventions contemporaines en
façade de ce qui existait à l’origine. Preuve d’une restauration réussie ! Le
chantier de réhabilitation du téléphérique du Salève rend ainsi hommage aux
concepteurs du téléphérique des années 1930, Maurice Braillard et l’ingénieur
parisien André Rebuffel en tête. Cela au chevet de l’un des rares témoins du
patrimoine bâti du XXe siècle en Haute-Savoie.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Les restaurateurs du bâtiment de la gare haute ont pu révéler le béton brut utilisé en 1930 en débarrassant 1500 m² de façade recouverts d’un enduit au début des années 1980.
La gare haute est un bâtiment pont. Ses niveaux reposent en effet sur deux piles de béton ancrées dans la pente au sommet de la falaise du Salève. Le bâtiment s’avance audacieusement dans le vide pour offrir un belvédère exceptionnel. Réhabiliter sa structure fait donc à la fois appel à des compétences en matière de construction d’immeubles et d’ouvrages d’art. D’ailleurs, le chantier a dû relever une multitude de défis techniques, patrimoniaux et architecturaux. La gare haute était inachevée à l’origine. La compléter par un restaurant n’était pas chose aisée. Il a fallu en renforcer les dalles par la pose de deux bipoutres de 21 m de longueur. Des armatures de très grand diamètre (32 mm) ont été posées, ainsi que des plaques d’ancrage. La pose de l’ensemble s’est aussi faite à la main. Des capteurs ont mesuré en permanence les mouvements de la dalle faite de béton C30 autoplaçant.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Le réaménagement de l’aire d’arrivée sommitale du téléphérique a révélé que la construction d’origine avait fait poser du carrelage. Les niches situées au-dessus des fenêtres et réservées à de la publicité rétroéclairée ont aussi pu être reconverties. De mêmes, des annonces d’un autre temps ont pu être préservées.
Le bâtiment a été agrandi côté amont pour proposer une salle de séminaire. Le matériel entreposé dans ce qui aurait dû être le restaurant en 1932 a pris le chemin du sol. L’espace vide aménagé sous la galerie d’arrivée du téléphérique accueille désormais les équipements techniques de la gare.
Ancien
carrelage ressuscité
Les travaux aménagés dans la galerie d’arrivée du téléphérique ont permis de
ressusciter le carrelage d’origine de la construction. Les architectes du
projet ont aussi réhabilité les niches aménagées pour d’anciennes publicités
au-dessus des fenêtres latérales de ce couloir d’arrivée. Les personnes
arrivant en téléphérique peuvent, au fond de la galerie, emprunter un escalier
ou trois ascenseurs pour avoir accès au restaurant panoramique situé au premier
niveau. Les architectes ont enfin trouvé le moyen d’exploiter ce vaste espace
de la manière voulue par Maurice Braillard. Ce restaurant entièrement vitré
donne l’apparence d’un paquebot. Ses fenêtres – pesant 600 kg chacune – peuvent
s’entrouvrir pour maintenir une température intérieure agréable. Les
architectes ont également prévu une isolation acoustique propre à donner une
certaine intimité aux convives. Passés les blocs cuisine et sanitaire, les
visiteurs accèdent en amont à l’espace dévolu aux séminaires. La terrasse
sommitale, sécurisée par de nouveaux parapets en béton, offre une vue à 360
degrés sur le Léman et les Alpes. Enfin, un mur d’escalade haut de 20 m va
ravir les alpinistes.
Une gare sans
voitures
A l’ouest de la gare haute, une tour escalier de béton permet à chacun
d’accéder directement au restaurant. A l’est, le maître d’ouvrage a fait
aménager un nouvel espace muséographique retraçant la très riche histoire du
site. Une vaste terrasse extérieure est aménagée pour profiter de la vue
exceptionnelle sur Genève et sa rade. Le complexe est aménagé pour accueillir
en priorité les visiteurs empruntant le téléphérique, même s’il est accessible
également depuis la route. Il est toutefois dépourvu de places de stationnement
pour les véhicules privés.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Une fois l’enduit enlevé, le béton d’origine a pu être sablé pour être restauré. Le renforcement de la dalle supportant le restaurant a été pratiquement fait à la main.
Le chantier a aussi dû relever le défi de l’eau. Comme la gare haute était dépourvue de ressources potables, elle est alimentée par un réservoir situé sous les cabines. De même, le maître d’ouvrage a dû construire un réseau d’épuration long de 3 km pour équiper convenablement le restaurant. Le projet de réhabilitation de la gare haute a aussi dû sacrifier une plantation linéaire de tilleuls, jugée incongrue par les architectes paysagistes et les défenseurs du patrimoine. Elle a été remplacée par un espace aménagé en bosquets d’essences locales, à la vue dégagée. Les aménagements extérieurs répondent ainsi mieux à la directive paysagère en vigueur en France. Enfin, les matériaux nécessaires au chantier sommital ont tous pris la route d’accès montant par Monnetier-Mornex. Un ballet de camions savamment réglé sur un tronçon parfois étroit et orné de gendarmes couchés.
La gare basse a aussi été totalement reconstruite pour offrir un meilleur accueil aux usagers du téléphérique. Elle avait été en effet détruite en 1984, ne gardant que les équipements assurant l’exploitation des installations de remontée mécaniques, en particulier les fosses de contrepoids des câbles porteurs. Le nouveau bâtiment s’intègrera dans son environnement urbanisé, en bordure de l’autoroute française A 40. Il n’a malheureusement pas été possible de compenser la perte de la station inférieure d’origine, regrettent encore les architectes.
Dépose délicate
Cet été, les travaux de finition se sont orientés vers la remise en route
progressive du téléphérique. Une opération aussi délicate que sa dépose, menée
à l’aide d’un chariot fantôme pour assurer le va-et-vient nécessaire. Il a
notamment fallu vérifier les treuils de secours, poser de nouveaux tourets pour
les câbles porteurs et rénover le système de communication entre les gares. Le
chantier en gare haute a aussi dû tenir compte de la présence des câbles et de
leur tirant de 20 tonnes.
Le maître d’ouvrage cherche encore une personne qui sera appelée à prendre en mains l’exploitation du restaurant. Au bout du compte, c’est une nouvelle vie qui s’annonce au Salève, notamment en son sommet. Dans un site préservé, mais qui n’a pas été épargné par les fermetures et les pépins de sécurité, notamment entre 1975 et 1984. Et après un chantier aussi touché par la pandémie, les difficultés d’approvisionnement en matériaux et l’inflation. Le projet a coûté 13 millions d’euros, financés de part et d’autre de la frontière franco-suisse, par les collectivités publiques et divers organismes privés. Une belle aventure s’achève ces jours, pour assurer une longue vie à cette attraction touristique majeure de l’agglomération franco-genevoise.