Le bâtiment affiche un bilan en demi-teinte pour l’année 2023
Malgré un contexte difficile en fin d’année dernière, les maîtres d’ouvrage prévoient toujours des investissements importants dans le parc immobilier. Les travaux de rénovation et de transformation ont particulièrement le vent en poupe. De même que les domaines de la culture et des loisirs, ainsi que l’hôtellerie et la restauration.
Crédit image: Jean-A. Luque
Le secteur de la rénovation, transformation ou encore agrandissements est en pleine expansion. Les investissements atteignent un niveau record. Cela permet de compenser en partie le manque de chantiers pour des constructions neuves.
En Suisse, gros oeuvre et second œuvre ont affiché au cours du dernier trimestre 2023 des résultats similaires à ceux de la fin de l'année précédente. Le volume d’investissements calculés sur la base des demandes de permis de construire n’a que légèrement reculé de 0,5%. Les investissements ont pourtant diminué de 18,7% par rapport au troisième trimestre 2023. Mais à y regarder de plus près, on constate que la valeur cumulée des projets de construction entre juillet et septembre est considérée comme statistiquement aberrante. En fait, le bâtiment a pu dépasser la barre des 50 milliards de francs, grâce notamment aux valeurs élevées enregistrées au deuxième trimestre. Avec une progression de 3,3%, le nombre de projets a même atteint un niveau exceptionnellement élevé.
Dans la construction de logements, les investissements ont diminué de 7,5% au cours du dernier trimestre. La retenue affichée par les maîtres d’ouvrage touche principalement les nouvelles constructions : les montants annoncés ont chuté à leur niveau le plus bas depuis dix ans (-19,0%). En revanche, les transformations, rénovations et agrandissements d’immeubles génèrent plus de mandats. Selon les chiffres recueillis par Docu Media Suisse Sàrl, les sommes engagées dans de tels projets ont augmenté de 9,9% et atteignent sur la dernière décennie un niveau record. Les rénovations contribuent à maintenir une stabilité bienvenue dans le segment du logement : au cours de l’année 2023, plus de la moitié des investissements ont été affectés à des transformations. Néanmoins, ces travaux ne compensent pas entièrement le recul enregistré par les nouvelles constructions. A l’arrivée, le logement affiche un recul de 5,6% d’une année à l’autre.
Les transformations sont appelées à jouer un rôle déterminant dans le secteur des immeubles collectifs. Ces chantiers pourraient même devenir un secteur de croissance. En effet, avec une augmentation de 26,1% par rapport à 2022, ce secteur a une fois de plus fortement progressé. Les investissements prévus dans les rénovations sont passés de 20% en début d’année à 27% au dernier trimestre. Au deuxième semestre, un milliard de francs de plus qu’au premier trimestre a été injecté dans la remise à jour d’immeubles et autres appartements.
L’activité de la construction reste toujours très soutenue grâce à ces rénovations envisagées. Le montant global prévu pour les chantiers d'immeubles collectifs a quasiment atteint le niveau très élevé de l'année précédente (-0,2%). Les investissements pour l’ensemble de la construction de logements ont légèrement reculé de 2,9%, notamment parce que le volume de travail pour les maisons individuelles demeure nettement déficitaire (-10,9%).
Depuis plusieurs années, la stagnation, voire le recul des investissements, réduit l'offre de logements. La Suisse devrait compter environ dix millions d'habitants d'ici le milieu de la prochaine décennie. A en croire UBS, il faudrait donc construire quelque 60 000 logements chaque année pour couvrir les besoins de la population. Actuellement, le nombre de permis de construire délivrés ne s'élève qu'à 35 000. La faible activité de construction d’appartements et la demande toujours élevée ont entraîné l'an dernier une nouvelle hausse des prix dans tous les cantons. Selon l'indice des loyers relevé par la plateforme immobilière Homegate et la Banque cantonale de Zurich, les loyers proposés sur le marché ont enregistré en décembre une hausse de 4,7% par rapport au même mois de l'année précédente (par rapport au mois précédent : +0,8%). Une tendance qui ne semble pas prête de s'inverser. Pour 2024 aussi, il faut s'attendre à une immigration nette élevée. Qui plus est, la hausse des taux d'intérêt pousse les investisseurs institutionnels à se tourner vers d'autres placements que la pierre.
Signes de
récession industrielle
Les liquidités injectées dans les bâtiments d'exploitation de l'industrie et de
l'artisanat constituent un facteur décisif pour l'activité future de la
construction. Il s’agit du deuxième segment le plus important qui représente
près de 11% des investissements. Mais les PME – qui exportent 80% de leur
production – sont mises à l'épreuve à cause du fléchissement de la conjoncture
sur de nombreux marchés importants. Elles ont enregistré une baisse massive des
commandes. L'indice des directeurs d'achat PMI (Purchasing Manager Index)
calculé par la banque Raiffeisen fournit un premier aperçu de la situation.
Celui-ci est passé en janvier de 50,9 points à 40,7 points, très nettement en
dessous du seuil de croissance. Quant à l'indicateur conjoncturel, qui mesure
l'amélioration ou la détérioration de la marche des affaires, il indique
clairement un recul des carnets de commandes et de la production. Plus de 40%
des PME interrogées ont fait état d'une baisse du volume de production, alors
que 15% seulement ont enregistré une hausse. Sur les trois premiers trimestres
de 2023, les commandes ont reculé de 10,5% par rapport à la même période
l'année précédente.
Sans compter que l'industrie suisse est une nouvelle fois confrontée aux turbulences monétaires. En effet, l'année dernière, le franc s'est fortement apprécié par rapport à l'euro et au dollar. Les entreprises sont nombreuses à voir leurs marges sous pression, ce qui se répercute directement sur les carnets de commandes.
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Les besoins en matière d'infrastructures suivent une courbe démographique ascendante.
En dépit de ce contexte économique tendu, le segment industriel fait preuve d'une étonnante résistance. Après avoir subi un recul au deuxième trimestre, l’industrie a regagné progressivement du terrain chaque trimestre, et les statistiques de Documedia indiquent des taux de croissance élevés à deux chiffres en ce qui concerne les investissements dans le parc immobilier. Entre le troisième et quatrième trimestre 2023, la valeur globale des constructions a augmenté de 11,3%, allant même jusqu'à 51,7% par rapport au dernier trimestre 2022. La valeur des travaux de construction planifiés a atteint un niveau record et a pour la première fois franchi la barre des sept milliards de francs.
L’inflation
semble maîtrisée
En ce qui concerne l'inflation, UBS estime que des effets de second tour se
feront sentir en 2024, d’une part en raison de l'augmentation des salaires,
destinée à compenser les pertes de pouvoir d'achat, et d’autre part parce que
les entreprises devront procéder à des ajustements de prix pour maintenir leurs
marges bénéficiaires. Le groupe d'experts de la Confédération table sur un
renchérissement annuel de 1,9% en 2024, et de 1,1% en 2025.
La hausse des prix de la construction s'est affaiblie entre avril et octobre. L'indice des prix de la construction, que l'OFS établit deux fois par an, a progressé de 0,6% pour atteindre 114,5 points (octobre 2020 = 100). Au cours du dernier semestre, les prix avaient encore progressé de 1,0%. Le secteur du bâtiment a connu une hausse moins importante (+0,4 %) que celui du génie civil (+1,1 %).
« La lutte contre l'inflation n'est pas encore totalement gagnée, mais nous sommes dans une bien meilleure situation que l'année dernière. Selon nos prévisions, l'inflation devrait rester inférieure à 2% pour les trois prochaines années », a déclaré Thomas Jordan, le président de la BNS en marge du Forum économique mondial de Davos. Selon lui, c'est un signe très positif : « Les prévisions d'inflation montrent que de nouvelles hausses des taux d'intérêt ne sont pas nécessaires pour maintenir la stabilité des prix. » La BNS se refuse toutefois à faire des prévisions en matière de taux d'intérêt. Les observateurs du marché s'attendent toutefois à ce qu'il soit à nouveau abaissé en 2024.
Lente reprise
économique
En décembre, les économistes de la Confédération ont revu à la baisse leur
prévision pour le produit intérieur brut (PIB) 2024 à +1,5% contre +1,6%
auparavant. Une performance inférieure à la moyenne, mais au-dessus de celle de
2023 (+0,8%). Le Seco prévoit pour 2025 une croissance de 1,7%. Le Centre de
recherches conjoncturelles de l'EPF de Zurich (KOF) prévoit une évolution
légèrement plus dynamique en 2024 (+1,7%), mais se montre plus prudent pour
2025 (+1,4%). Les prévisions d'UBS sont, elles, plus modérées : +1,2% en 2024
et +1,5% en 2025.
Dans un premier temps, la conjoncture économique suisse devrait bénéficier de quelques impulsions timides de la part de ses principaux partenaires commerciaux. Bien que l'inflation en Allemagne se soit atténuée, elle affiche tout de même 5,9% en 2023. Ce renchérissement élevé a rendu les consommateurs moins enclins à faire des achats et a conduit à une baisse de la performance économique de 0,3% au dernier trimestre. Les entreprises industrielles ont enregistré un recul de leur production pour le septième mois consécutif. Une telle tendance affecte les sous-traitants suisses qui exportent en Allemagne.
Malgré tout, la performance économique est restée stable dans la zone euro au quatrième trimestre (+0,1 % par rapport au trimestre précédent). Selon les prévisions de la Banque centrale européenne (BCE), l’inflation devrait baisser de 5,4% en 2023 à 2,7% en 2024. Il faudra néanmoins s'armer de patience avant d'atteindre la fourchette cible de la BCE d'environ 2%.
Saison
touristique sauvée
L'amélioration du climat de la consommation incite à nouveau les touristes
américains à se rendre en Suisse pour y passer des vacances. Selon l'Office
fédéral de la statistique (OFS), le nombre de nuitées a augmenté de 4,3% en
décembre par rapport à la même période un an plus tôt, notamment grâce aux
hôtes étrangers (+6,1%). De même, pour le début de la saison, les remontées
mécaniques font état d’une hausse de 26% pour l’ensemble du pays par rapport à
la même période de 2022. Les réservations pourraient contribuer à accroître la
rentabilité des établissements hôteliers, leur permettant ainsi d'investir à
nouveau davantage dans des projets de construction. Le segment a retrouvé de la
vigueur au dernier trimestre et obtient de bons résultats en ce qui concerne
les investissements dédiés à la construction.
Après un trimestre précédent exceptionnel, les secteurs de la société, de la culture et des loisirs ont clôturé en beauté. Comparativement au même trimestre de l'année dernière, la valeur globale de leurs constructions a augmenté de 110,3%. Globalement, l'année a connu une croissance supérieure à la moyenne, le nombre de projets prévus ayant même doublé par rapport à l'année précédente.
Pour sa part, le marché des surfaces de bureaux devrait profiter de la normalisation du marché du travail et de l'augmentation de la croissance de l'emploi, ce qui permettra de stimuler la demande d'espaces de travail. Cela dit, il ne faut toutefois pas s'attendre à ce que ce segment soit un catalyseur important de l'activité de construction. Si la tendance à la baisse a pu être enrayée au dernier trimestre, la somme des projets est restée inférieure à la moyenne, à l'instar des trimestres précédents.
Des tendances opposées sont constatées dans le secteur public. Les investissements scolaires affichent une nouvelle progression (+ 23,7%), alors que les établissements de santé sont abandonnés et ne laissent guère espérer un retour à la croissance dans un avenir proche (-46,1%).