Un livre et une expo pour tous les projets de construction jamais réalisés en Suisse
Un Palais fédéral agrandi par Mario Botta à Berne, une ville satellite dans la forêt près de Zurich ou un Palais de la Société des Nations de Le Corbusier à Genève: comme de nombreux autres projets, ces derniers n'ont jamais été réalisés en Suisse. Le livre «Was wäre wenn / What if"» et l’exposition «Et Si» à Bâle les remettent au goût du jour.
Crédit image: Mario Botta Architetti
Projet stoppé en 1993, l'extension du Palais fédéral signée Mario Botta aurait provoqué la démolition de plusieurs bâtiments situés dans la zone de protection de l'Aar.
Peut-être que certaines choses auraient été différentes de celles présentées actuellement dans un livre et une exposition à Bâle. Celui qui aurait prévu un voyage en Suisse n'aurait pas atterri en avion à Kloten, mais à l'aéroport central suisse près d'Utzensdorf dans l'Emmental, à environ 23 km au nord de Berne. L'idée avait été lancée pendant la Seconde Guerre mondiale et le site choisi était un champ qui servait à l'époque de champ de bataille. En effet, une extension de l'aéroport existant de Belpmoos n'aurait pas été possible en raison de la topographie. En faisant le tour de la capitale fédérale, on serait passé devant le Palais fédéral, agrandi dans les années 1990 d'après les plans de Mario Botta et ressemblant à une immense forteresse. Au bord du lac Léman, les touristes auraient fait un selfie avec la Tour de Lausanne, conçue par Jean Tschumi. Cette élégante construction de plus de 300 m de haut aurait dû être présentée au public en 1962, mais son architecte est décédé peu après. A Zurich, ce sont surtout les touristes passionnés d'architecture qui auraient sorti leur smartphone à proximité du Kunsthaus: en raison du spectaculaire Schauspielhaus de Jørn Utzon, une sorte de tapis de vagues de 150 m de long qui occupait presque toute la Heimplatz.
Zurich, une
ville forestière avortée
Zurich
aurait pu présenter une autre construction bien plus spectaculaire et sans
doute tout aussi polarisante: la Waldstadt. Située sur l'Adlisberg, dans la
forêt entre Zurich et Gockhausen, cette gigantesque cité aurait dû, à partir
des années 1970, s'étendre
en forme de fer à cheval à travers la forêt sur une longueur de 4,5 km et une
hauteur atteignant parfois 100 m. Elle aurait hébergé près de 27'000 logements
pouvant accueillir environ 80'000 habitants, 13'000 places de travail et 25'000
places de parking souterraines. En outre, la ville satellite aurait également
dû offrir des salles de classe, des surfaces commerciales et des possibilités
de loisirs. En outre, elle aurait été reliée aux septième et huitième
arrondissements de la ville par un métro.
Derrière ce projet mégalomane se cachent le président de la ville Sigismund Widmer et l'architecte Werner Stücheli. Le projet aurait dû désamorcer la crise du logement qui sévissait à l'époque. «D'année en année, le nombre de personnes qui quittent Zurich pour fuir des loyers absurdement élevés augmente. Ils paient leurs impôts dans les communes rurales, mais continuent à utiliser les services et les équipements de la ville», pouvait-on lire à l'époque en première page du journal local Züri Leu. La Waldstadt devait changer cela.
Comme l'a expliqué Sigismund Widmer lors de la présentation du projet de construction, cela devrait se faire en respectant systématiquement la protection de l'environnement. Il a souligné «l'abandon des constructions dispersées, l'intégration des services publics dans la structure d'habitation» et la priorité donnée aux transports publics. La mixité des activités et de l'habitat était un autre thème, ainsi que leur intégration dans un «vaste paysage de parcs et de forêts» et, de même, «l'élaboration minutieuse d'une structure sociale harmonieuse». Malgré cela, les plans devaient finalement disparaître dans un tiroir et les défrichements nécessaires à la réalisation ont suscité de vives discussions. Finalement, le Conseil d'Etat zurichois a rejeté en octobre 1971 la demande de défrichement de 45 ha de forêt. L'une des raisons était une erreur de calcul, comme le rapportait à l'époque la Neue Zürcher Zeitung. Selon les valeurs de référence de l'époque, 175 ha de forêt auraient dû être abattus, soit plus de trois fois plus. Des projets comparables datant du siècle actuel, la Waldstadt Bremer à Berne et une Waldstadt à Schaffhouse, ont également échoué en raison des défrichements nécessaires.
La Suisse construite,
pointe
de l'iceberg
C'est ce genre d'histoire que raconte l'exposition actuelle du Musée suisse de
l'architecture (jusqu'au 5 mai), «Et Si» et surtout le livre «Was hätte wenn -
Ungebaute Architektur in der Schweiz». A l'instar de l'exposition elle-même, le
livre invite à approfondir l'étude de 23 projets ambitieux pour leur époque, grâce à des coupures de presse,
des plans, des esquisses et
des
visualisations.
«On construit beaucoup d'architecture en Suisse, à tel point que l'on pourrait facilement considérer la construction comme l'essence même de l'architecture, écrit Andreas Ruby, directeur du Musée suisse de l'architecture, dans la préface du volume. «Mais avant que la construction proprement dite, il faut la conception. Or, la majeure partie de ce monde conçu ne prend jamais forme physiquement, mais mène une existence silencieuse dans des dessins sur papier, des maquettes, des archives et des jeux de données sur des serveurs - et ce, uniquement si les espaces imaginés sont considérés comme dignes d'être conservés». Le bâti n'incarne donc que «la pointe de l'iceberg ». L'ouvrage attire ainsi l'attention sur les faces cachées de projets avortés.
Le Corbusier recalé
L'ouvrage se divise en quatre parties : «Perdu», «Nié», «Coincé» et
«Transformé». Ainsi, parmi les projets «perdus», on trouve ceux qui
ont été en partie reconnus, mais qui ont tout de même terminé à la deuxième
place du concours d'architecture. L'un des projets présentés est le Palais de
la Société des Nations de Le Corbusier: en 1927, les Nations Unies ont lancé un
concours pour un palais à Genève. 377 projets provenant de 42 pays ont été
soumis. Après un total de 65 réunions du jury composé de neuf membres, ces
derniers ne sont pas parvenus à se mettre
d'accord. C'est pourquoi, en mai 1927, neuf projets arrivés en tête et neuf
autres en deuxième position ont été désignés. Pour parvenir à une décision, la
Société des Nations a nommé un comité de
cinq diplomates et par la suite, le budget a été augmenté de manière à correspondre à la
proposition de Jean-Henri Nénot. L’architecte
a été chargé de retravailler son projet avec quatre autres premiers
lauréats. Le Corbusier en
a été pour ses frais: Il a également retravaillé sa proposition, mais
celle-ci a été ignorée.
Crédit image: Archives de l'histoire de l'architecture de la ville de Zurich
La maquette oubliée du Schauspielhaus, conçue par Jørn Utzon pour la ville de Zurich, a été abandonnée au profit de la construction de l’Opéra de Sydney.
Les projets «refusés» sont des projets de construction qui, selon les cas, ont été rejetés par la politique, la population ou les votations. Il est certain que le haut degré de participation fait de la Suisse l'une des démocraties les plus puissantes en matière d'architecture, note Andreas Ruby dans la préface du livre. «Mais l'architecture est-elle même co-conçue par la démocratie directe à cause de sa longue ombre?», se demande-t-il. Parmi ces projets figure l'aéroport central suisse, qui s'était heurté à une résistance acharnée sur le site choisi à Utzensdorf. Le choix s'est finalement porté sur Kloten.
Une société sans argent
Si des projets ne sont pas réalisés, c'est aussi parce qu'ils ne parviennent
tout simplement pas à prendre leur envol, au sens figuré. Des exemples sont
cités sous le mot-clé «ensablé». «Dans la phase d'exécution, des maîtres
d'ouvrage auparavant solidaires et alliés peuvent devenir des ennemis en raison
de leur influence et de leurs compromis financiers», écrit encore Andreas Ruby. Le
Schauspielhaus d'Utzon à Zurich en est un exemple: le projet de l'architecte
danois aurait presque occupé toute la Heimplatz, et de plus, la salle de
spectacle ne disposait pas des gradins requis. La ville a donc exigé des
modifications et des variantes. Parallèlement, le chantier de l'opéra de Sydney
a exigé Utzon. Et comme le Schauspielhaus se montrait également sceptique
vis-à-vis du projet, la construction a finalement été stoppée.
La quatrième rubrique: «Transformé» présente des projets qui ont tellement changé qu'ils n'ont plus grand-chose en commun avec le projet initial: «Le chemin vers le projet réalisé est long, et une comparaison entre le premier concept et le projet finalement construit peut être amère». Il s'agit ensuite de projets qui pourraient plutôt être visionnaires ou sources de changement.
Ce dernier point est valable pour «bolo'bolo». Dans sa publication du
même nom parue aux éditions Paranoia City de Zurich, Hans Widmer présente une
forme de société sans argent, dans laquelle les agglomérations sont des
voisinages autogérés et autosuffisants. Les ménages, qui comptaient alors en
moyenne 2,6 personnes, devaient se transformer en communautés de 500 personnes,
appelées bolos. Plusieurs d'entre elles devaient à leur tour pouvoir se
regrouper en unités plus importantes. Widmer prévoyait qu'ils se répandent à
partir de 1984 et qu'ils se réalisent trois ans plus tard. Ceci dans le cadre
d'un effondrement du commerce mondial et des systèmes de transport et de
communication internationaux. Mais cela n'a pas été le cas. Néanmoins,
certaines des idées sous-jacentes ont été intégrées dans l'habitat coopératif à
Zurich, par exemple dans la coopérative Kalkbreite. (Silva Maier)
En page et aux cimaises
Livre
L’architecture non construite en Suisse,éd. S. AM Musée suisse d'architecture, Andreas Kofler, Andreas Ruby,Éditions Christoph Merian, 244 pages, broché
ISBN : 978-3-85616-997-8, Prix : 49 francs 90
Exposition
L'architecture non construite en Suisse, jusqu'au 5 mai, SAM Musée suisse d'architecture, 4051 Bâle, Heures d'ouverture : Mardi, mercredi et vendredi de 11 à 18 heures, jeudi de 11 à 20.30 heures, samedi et dimanche de 11 à 17 heures.