Transformation d’une maison vigneronne au cœur d’Epesses
Au cœur de Lavaux, une maison vigneronne du XVIIe siècle se mue actuellement en appartements destinés au marché de la location alliant vieilles boiseries et éléments contemporains. Située dans une ruelle exiguë d’Epesses, la bâtisse protégée impose un certain nombre de contraintes logistiques, techniques et conceptuelles aux acteurs du projet.
Transformer une maison vigneronne de 1650 en nouveaux logements contemporains, tout en respectant ses caractéristiques originelles et son image dans un contexte sensible, c’est le défi relevé actuellement dans une ruelle du village d’Epesses, au cœur de Lavaux. Anciennement composée de trois logements chauffés uniquement par des poêles à bois et d’un grand caveau voûté de vigneron, la bâtisse accueillera dès cet été 6 appartements à la location, dont un duplex dans les combles, ainsi que des surfaces commerciales au rez inférieur. Initiée l’an dernier, la première étape du projet s’est concentrée sur la construction d’un parking souterrain d’une capacité de huit véhicules, sur le site de l’ancienne terrasse attenante du bâtiment. Première contrainte de taille du projet, les intervenants ont découvert un bloc erratique de 100 m3 à environ 1 m de profondeur. Après plusieurs tentatives de fragmentation, les ingénieurs du bureau Karakas & Français SA se sont résolus à le percer une quinzaine de fois puis à le miner à l’explosif. Cette phase critique a été réalisée sous haute surveillance par la pose de sismographe. La suite du terrassement a nécessité la construction d’une paroi gunitée avecrèsdes clous passifs pour tenir le mur surplombant la fouille «Dans le village, cette petite parcelle était la seule à rester non construite. Il ne serait donc pas étonnant que ce morceau de grès ait contrarié les plans des bâtisseurs de la maison en 1650», estime Olivier Burnier, ingénieur et directeur opérationnel du bureau Daniel Willi SA. Si le parking a été réalisé avant le début des travaux de transformation de la maison, c’est pour servir de plateforme d’entrepôt de la grue et des matériaux de chantier. En effet, la bâtisse étant située en aval d’une ruelle villageoise de 4,5 m de large, au trafic bidirectionnel, aucun autre emplacement n’était envisageable. «Pour entreposer la grue à cet endroit stratégique, il a fallu fermer la route une journée, puis installer une grue mobile au milieu de cette dernière, grâce à laquelle nous avons fait passer les éléments de la grue de chantier un par un par-dessus la toiture», précise l’ingénieur.
Concours sur invitations
Le projet de rénovation de la maison a été défini à la suite d’un concours privé sur invitation organisé par la société Maître Carré Sàrl, fondée par Daniel Willi et spécialisée dans le conseil au maître d’ouvrage. Ce dernier, sensible à la préservation du patrimoine vaudois, s’est assuré les compétences appréciées d’Eric Teysseire, ancien responsable cantonal des monuments et sites, dans son comité du concours. Ce dernier a été remporté par le bureau lausannois Mondada Frigerio Blanc Architectes. Suivi par le service des monuments et sites, le projet a tenu compte de certaines caractéristiques originelles du bâtiment. «Nous avons privilégié une intervention architecturale modeste en essayant de respecter au mieux la bâtisse existante, son histoire et sa structure. L’ajout de matériaux contemporains, notamment au niveau des cuisines et sanitaires, nous a permis de jouer sur le contraste entre ancien et nouveau», note Jean-Luc Frigerio, architecte co-associé du bureau. Certaines contraintes imposées par le service des monuments et sites ont influencé la conception globale du projet. Le bâtiment figure en note 3 au recensement architectural vauois. La partie sud des niveaux 1 et 2 comprend des boiseries à conserver, type parquet, armoires et vieilles portes. Tous ces éléments ont été soigneusement démontés et seront réinstallés pendant la phase des finitions. Le service des monuments et sites a également souhaité que les poutres en bois existantes dans la partie sud soient conservées dans les nouveaux planchers, sans en faire pour autant des poutres apparentes. Pour répondre à cette requête, tout en assurant une isolation phonique de qualité, une résistance au feu aux normes et la reprise des nouvelles charges du bâtiment, les ingénieurs ont opté pour un système mixte bois-béton. «Comme les anciennes poutres étaient trop faibles au niveau statique pour soutenir les nouvelles charges et accueillir les techniques contemporaines, type chauffage au sol, nous avons renforcé toutes les dalles avec de nouvelles poutraisons en bois. Pour construire ces dalles porteuses bois-béton, nous avons utilisé des connecteurs métalliques type SFS après avoir renforcé les poutres originelles par deux nouvelles poutres vissées de chaque côté. Ensuite, on a coulé entre 7 et 10 cm de béton. Sous les poutres, un faux plafond a été fixé par des tiges», détaille l’ingénieur. Dans la partie nord, par contre, la structure existante a été démontée et remplacée par des dalles en béton pour y créer une cage d’ascenseur et une cage d’escalier. Les intervenants ont connu quelques difficultés pour trouver les emplacements adéquats pour les techniques, surtout dans les parties sud protégées. «Etant donné qu’il s’agit d’un programme de logements, peu d’infrastructure n’étaient requises. Nous avons opté pour le chauffage à gaz raccordé au réseau du village. Aucune exigence Minergie particulière n’a été souhaitée par le maître d’ouvrage. Le projet répond à la norme cantonale. Ce choix a été motivé par la complexité du projet de transformation, ainsi que par le fait que les panneaux solaires ne pas les bienvenus dans le magnifique paysage de Lavaux», note l’architecte.
Démolition du caveau
Autre défi du projet, le caveau voûté d’environ 5 m de haut devait être entièrement démoli afin de répondre aux besoins de vie actuels et créer des locaux communs, tels des caves pour les futurs locataires, local de chauffage, à vélo etc. «Il a fallu étayer les murs horizontalement et procéder par étapes pour démonter l’équivalent de 300 m3 tout en assurant la stabilité du bâtiment. La cage d’escalier et d’ascenseur en béton ont été réalisées au préalable, ce qui a permis de tenir le mur pendant la démolition. Après seulement on a enlevé ces étais», explique l’ingénieur. Cette phase de chantier s’est révélée logistiquement complexe en raison de l’exiguïté du site. Seul accès temporaire pendant la durée du gros-œuvre, un puits a été créé dans le pan nord de la toiture. C’est par cette unique voie d’accès que les matériaux et les machines ont été acheminés dans la maison, puis répartis à chaque étage par la grue de chantier. L’évacuation des déchets du terrassement s’est également faite par voie verticale. Les matériaux étaient ensuite déversés dans une benne située sur la terrasse, puis chargés sur camion par la grue. «Cette logistique de chantier a requis une planification bien précise. La seule route du village ne pouvant être bloquée plus d’une trentaine de minutes par opération de chargement», explique l’ingénieur.
Charpente conservée
Le gros-œuvre ayant été achevé fin 2012 et le puits refermé, les travaux de toiture sont en cours afin de mettre le bâtiment hors d’eau. La structure de la charpente sera conservée en l’état, traitée et ponctuellement rénovée pour les parties les plus abîmées. Au niveau de la toiture, les tuiles existantes seront complétées par des éléments récupérés. Seule intervention contemporaine, des lucarnes perceront trois pans de la toiture et un dôme, au sud, à l’image du dôme nord originel, assureront une lumière naturelle de qualité dans l’appartement des combles. Quant à l’extérieur, «Les façades seront restaurées dans leur état d’origine, y compris la teinte vert gris caractéristique de la grande transformation qu’a subi l’immeuble au XIXe siècle et qui lui a donné sa forme actuelle. Seule exception, un second balcon sera ajouté au 2ème étage», relève l’architecte. La fin des travaux est prévue fin 2013. Emilie Veillon
LES INTERVENANTS
Représentant du Maître d’ouvrage
Maître Carré Sàrl
Architecte
Mondada Frigerio Blanc Architectes, Lausanne
Ingénieur civil
Daniel Willi SA Bureau d’ingénieurs civils, Montreux