L’usine deviendra « un palais de lumière »
Leonid Mikhelson, ingénieur qui a fait fortune dans l’industrie gazière et pétrochimique, se tourne vers Renzo Piano pour enchanter un bâtiment industriel.
Depuis que la grande fabrique de chocolat construite en 1697, rebaptisée Octobre Rouge en 1917, a été transformée en lieu de fête et d’activités culturelles, l’île Bolotny est devenue un des pôles d’attraction de la jeunesse moscovite. Elle va bientôt brasser beaucoup plus large. De l’autre côté du pont qui mène à l’église du Christ-Sauveur, une ancienne centrale thermique et électrique est en train d’être reconvertie en un gigantesque centre d’art contemporain. Démarré en 2016, le chantier devrait être livré en 2020. A l’origine de l’opération, Leonid Mikhelson, ingénieur qui a fait fortune (26,7 milliards de dollars selon le magazine Forbes) dans l’industrie gazière et pétrochimique.
Sa Fondation VAC, avec laquelle il a restauré en 2017 le Palazzo delle Zattere de Venise pour y installer, notamment, sa collection d’art, en assurera le fonctionnement. Pour l’architecture, il s’est tourné vers Renzo Piano, star mondiale en son domaine et auteur de splendides musées comme le Centre Pompidou (1977, avec Richard Rogers), la collection Menil à Houston (1986), la Fondation Beyeler à Bâle (1997)… Ces dernières années, son agence RPBW s’est distinguée par de belles interventions sur des sites patrimoniaux. Dernière en date, la gracieuse et piquante reconversion de la citadelle d’Amiens, chef-d’œuvre d’urbanisation fortifiée conçu par Jean Errard à l’aube du XVIIe siècle, en un campus moderne pour l’université de Picardie Jules-Verne (2018).
Le potentiel des bâtiments industriels
Tel qu’il le présente au téléphone, l’enjeu de ce nouveau projet aurait consisté à transformer une usine sombre et opaque en un « palais de lumière ». Conçue en 1907 par l’architecte Vasili Bashkirov et l’ingénieur Vladimir Choukhov, la centrale GES-2 alimentait en gaz et en électricité le grand ensemble d’habitation voisin, sa laverie, son cinéma, et tout le quartier jusqu’au Kremlin.
« Les bâtiments industriels ont toujours un grand potentiel, parce qu’ils sont généreux », affirme Renzo Piano. Pour révéler ce potentiel, pour créer avec lui un lieu d’exposition qui soit aussi un espace public ouvert, il a d’abord fallu détruire : défaire la carcasse de tout ce qui l’enrobait, libérer la structure, convaincre le client d’acheter les bâtiments alentour pour les détruire eux aussi, et créer du vide… Dans ce vide, il y aura un jardin, d’où s’élèvera une large rampe plantée d’une « forêt de bouleaux », qui courra jusque sur le toit des chais voisins. Créée en 1901 par Piotr Arsenievitch Smirnov pour conserver sa vodka, cette splendide enfilade de salles voûtées en briques fait également partie du projet.
« Transformer le lieu sans en trahir l’esprit, c’est un jeu d’équilibre, résume l’architecte génois. Il faut savoir garder ce qui tient, ce qui fait la force du bâtiment, ce qui appartient à l’histoire, et au site. Ne pas effacer ce qui est bon. » A 81 ans, Renzo Piano paraît s’être adapté aux us et coutumes russes. « A Moscou, c’est légèrement plus fatiguant qu’ailleurs, euphémise-t-il, mais on y arrive ! »