Prix de la construction en baisse – ou la logique de la déraison
Les prix des travaux publics baissent inexorablement, quand bien même les entreprises de construction ont de plus en plus de peine à couvrir leurs frais. «Le plancher a été atteint», entend-on dire. Mais, malgré cette prise de conscience, aucun renversement de tendance ne semble se dessiner.
Que se passe-t-il donc chez les entrepreneurs ? Pourquoi de telles chutes de prix ?
Une histoire ancienne pour illustrer ce propos: deux Anglais soupçonnés d’espionnage, mais sans preuve aucune, sont arrêtés par les services secrets soviétiques. Les deux hommes ont commis une légère erreur au niveau des formalités d’entrée dans le pays. Interrogés séparément, on leur propose les alternatives suivantes: « Si vous avouez être un espion, nous vous laissons en liberté mais votre ami écopera de dix ans de travaux forcés en Sibérie. Cette proposition n’est toutefois valable que si votre complice ne l’avoue pas lui-même. S’il le fait, vous serez condamnés à cinq ans de camp de travail chacun. Et si aucun ne passe aux aveux, vous séjournerez tous deux une année en prison pour entrée illégale dans notre pays. »
Difficile de faire un choix sans connaître la déposition de l’autre !
Les entreprises de construction ne sont pas des espions mais ne connaissent pas non plus, au dépôt de la soumission, la position de leurs concurrents. Si l’une soumet une offre incluant un bénéfice et que l’autre ne le fait pas, la première n’obtiendra pas le marché. Par contre, si elle renonce à tout profit, elle s’attend au moins à couvrir ses dépenses directes et limiter le risque de pertes.
Comment donc estimer le prix au plus juste ? Logiquement, l’entreprise sera tentée de fixer un montant correspondant aux coûts de production, voire légèrement inférieur, en spéculant sur des possibilités de modifications des commandes. Le même raisonnement étant souvent appliqué par ses concurrentes, le niveau des prix demeure par voie de conséquence extrêmement bas et la chance d’obtenir le mandat dépendra du nombre de soumissions et de leur compétitivité. La probabilité de réussite serait pourtant tout-à-fait comparable si toutes les entreprises incluaient une marge raisonnable et déposaient des offres plus élevées. Ce qu’elles ne font pas.
Savez-vous ce qu’ont finalement répondu les deux Anglais ? Tous deux ont avoué être des agents secrets de Sa Majesté et ont ainsi écopé de cinq ans de camp de travail forcé. S’ils avaient nié, chacun se serait vu infliger une année de prison. Mais le risque de passer une décennie en Sibérie était bien trop élevé.
Les Anglais et l’Union soviétique, les entreprises de construction et les maîtres d’ouvrages publics : deux situations assez semblables, où les intéressés agissent de manière déraisonnable … mais parfaitement logique!
Benedikt Koch
Directeur de la Fédération Infra