Premier bâtiment historique labellisé Minergie-Eco
Rénover de fond en comble une construction du XVIIIe siècle de grande valeur patrimoniale, afin d’atteindre le standard MINERGIE-ECO, c’est le défi relevé par Lutz Architectes. Au programme: transformation respectueuse du bâtiment, isolation de la toiture et production de chaleur au bois.
«En soi, rénover – plutôt que démolir pour rebâtir – est un acte durable, préservant les ressources naturelles. Mais lorsque le constructeur d’aujourd’hui doit composer avec un bâti ancien, les idéaux écologiques se heurtent souvent à des problématiques très concrètes: présence de polluants dans les matériaux existants, difficultés à satisfaire les exigences actuelles en termes de qualité de l’air intérieur, d’éclairage naturel, de protection phonique ou contre l’incendie ou encore à gérer les contraintes de préservation d’une substance historique de grande valeur», explique Aleksis Dind, architecte au sein du bureau Lutz basé à Givisiez. Pourtant, la réhabilitation d’une maison de maître du XVIIIe siècle, en cours à Neuchâtel, prouve que les deux ne sont pas incompatibles. Mandatés par les propriétaires pour rénover la bâtisse principale et une de ses annexes pour une affectation mixte en logements et/ou bureaux, les architectes ont tenté d’appliquer la logique de développement durable qu’ils affectionnent dans tous leurs projets. «Nous avons constaté avec surprise que nous pouvions atteindre le standard MINERGIE par des interventions très limitées, en isolant la toiture, en posant des survitrages isolants devant les anciennes fenêtres et en changeant de système de chauffage. De plus, les bâtiments anciens sont adaptés à la philosophie de MINERGIE-ECO. Les matériaux en place comme la pierre, le bois ou les enduits à la chaux, sont écologiques par nature. En privilégiant de nouveaux ajouts inspirés de l’existant, une intervention écologique fait sens», poursuit l’architecte à la tête du projet. La prétention au label de qualité énergétique a notamment été facilitée par les bonnes performances thermiques des façades originelles. En effet, le volume existant est très compact et présente donc une petite surface d’enveloppe par rapport au volume chauffé. D’autre part, les épais murs en moellons offrent une excellente inertie, garantissant ainsi la fraîcheur intérieure lors des grandes chaleurs estivales.
Charpente de 1740 intacte
Le gros œuvre a débuté au printemps 2012. Prônant une intervention la plus légère possible au niveau structurel, les architectes ont conservé intacte la charpente de 1740. La toiture a été isolée avec de la ouate de cellulose recyclée. Les tuiles d’origine, faites à la main, ont été déposées, nettoyées et remises en œuvre sur place, tout en étant complétées par d’autres tuiles neuchâteloises anciennes récupérées dans les alentours. L’ancien clocheton a été reconstitué à l’identique avec une nouvelle structure en chêne. La cloche qu’elle contenait, datée de 1799 et signée du même fondeur que le gros bourdon de la Collégiale de Neuchâtel, a été restaurée puis remise en place. «Pour l’anecdote, nous avons glissé dans la toiture une petite capsule temporelle, à savoir un cylindre en métal hermétiquement soudé, qui contient des documents sur la famille et les entreprises impliquées dans les travaux. Qui sait, elle sera peut-être découverte dans deux siècles lors des prochaines rénovations», se réjouit l’architecte.
Ajout d’une grande lucarne
Le volume de la toiture a été rendu habitable par l’ajout d’une grande lucarne en bandeau. «Pour éclairer ces 150 m2 de plancher dans les combles, nous avons élaboré une solution originale, d’entente avec les Monuments et Sites et la Ville. Plutôt que de percer la toiture et de découper la charpente pour y installer plusieurs petites lucarnes, nous avons opté pour un long bandeau vitré littéralement «posé» sur le pan sud du toit. Sa structure est constituée d’une dalle en bois croisé de près de dix mètres de portée, d’une seule pièce. Cet élément d’expression contemporaine ancre la bâtisse dans le présent et le futur. De toute la réhabilitation, c’est la seule intervention perceptible à l’extérieur», note Aleksis Dind.
Renforcement des combles
Un important renforcement statique a dû être entrepris au plancher des combles, affaibli par des infiltrations d’eau, pour soutenir les charges liées à sa nouvelle affectation. Conformément à la déontologie de protection patrimoniale qui favorisait non seulement le bois, mais aussi une intervention qui puisse être réversible, l’ingénieur Martin Geiser, basé au Mont-Soleil, a eu recours à un moyen d’assemblage disponible sur le marché depuis 2010 seulement. «Nous avons utilisé les solives actuelles pour en faire la membrure inférieure d’une poutre triangulée, en ajoutant une deuxième poutre neuve par-dessus, ménageant par la même occasion un espace pour la technique. Cet espace permet également de conserver un important sommier renversé existant, témoin intéressant de l’art des charpentiers d’autrefois. Pour créer la triangulation, nous avons mis en place de longues vis à filetage complet d’un mètre de long. Ce nouveau produit n’était pas initialement prévu pour la triangulation. La particularité de cette vis est qu’elle fait à la fois office de diagonale tendue et d’assemblage. Ainsi, on fait d’une pierre trois coups, avec un système indépendant des têtes de poutres pourries qui fonctionne avec cet appui décalé vers le haut», développe Martin Geiser.
Reconstruire un bardage de protection
Pour résoudre le problème des entrées d’eau sur le pignon ouest, exposé à la pluie battante, les intervenants prévoient de reconstruire un bardage de protection en bois dur ou en tavillons, comme à l’origine. D’autres mesures ont été prises pour gérer les questions d’humidité inhérentes à ce bâtiment non excavé, donc «les pieds dans l’eau», en raison de son implantation adossée à un coteau très humide. «Pour ne pas bloquer cette eau dans les murs, nous avons utilisé des crépis perspirants. De plus, les sols du rez-de-chaussée n’ont pas été bétonnés, mais simplement décaissés puis remblayés avec un agrégat drainant et isolant, sur lequel ont été reconstruits des sols ouverts, posés à sec. De cette manière, l’humidité peut se diffuser dans la pièce sans faire de dégâts aux murs», détaille Aleksis Dind.
Vitrages sur cadres métalliques
Les fenêtres d’origine en chêne ont été laissées en place et protégées par de nouveaux vitrages extérieurs sur cadres métalliques posés dans les encadrements en pierre, ce qui permet d’atteindre les exigences thermiques, acoustiques, d’étanchéité à l’air et de protection contre la pluie. Sur le plan technique, la chaudière au mazout a été remplacée par une centrale de chauffage à pellets, ce qui réduit les émissions de CO2 de près de 90 %. Ce choix a permis de diviser la puissance de la chaudière par deux, malgré l’augmentation d’une fois et demie du volume chauffé en raison de l’aménagement des combles. «Derrière l’ancienne chaudière, nous avons eu le plaisir de remettre à jour un four à pain d’origine, encore parfaitement en état de marche, et qui sera rendu à sa fonction première. La propriétaire l’a d’ailleurs testé lors d’une de nos séances de chantier et nous avons pu en déguster le produit sur place» s’enthousiasme l’architecte.
Une ventilation double-flux, assurée par trois monoblocs, permet de garantir une bonne qualité d’air intérieur en éliminant les polluants, odeurs et l’humidité excédentaire. Les installations électriques sont conçues dans des câbles blindés éloignés des chambres à coucher, de manière à limiter l’électro-smog. Un éclairage LED performant et peu gourmand en énergie a été prévu dans toutes les pièces. L’approche écologique a néanmoins atteint certaines limites, puisqu’il n’était pas envisageable d’intégrer des toilettes sèches, un système de récupération d’eau de pluie ou des panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques.
Ascenseur sur mesure
Enfin, un ascenseur sur mesure a été inséré dans l’ancienne tourelle des latrines, desservant les quatre niveaux et les deux propriétaires en mitoyenneté. Pour ce faire, la charpente de la tourelle a été déposée d’une pièce par la voie des airs, le temps de surélever les murs au niveau des combles, puis reposée par le même biais. En ce qui concerne les aménagements intérieurs, les choix ont été effectués en concordance avec l’état d’origine. Les cloisons, boiseries, parquets et plafonds n’ont pas été modifiés, mais restaurés à l’identique. Pour les cuisines et salles de bains, les architectes ont opté pour des matériaux traditionnels: enduits à la chaux, sols en pierre naturelle ou chapes au mortier, mobilier en bois massif. Un restaurateur d’art a effectué une série de sondages dans toutes les pièces et boiseries pour retrouver les couleurs d’origine. Une peinture naturelle et sans solvant, à base de caséine (une protéine du lait) et d’huile de lin sera appliquée sur les boiseries, les murs recevant des peintures minérales certifiées «Nature Plus».
Le parc entourant le bâtiment, avec ses arbres centenaires, fait lui aussi l’objet d’une protection particulière. Faisant écho à la réhabilitation du bâtiment, une réflexion a été menée sur sa restauration et son réaménagement. Délaissé depuis plusieurs années, il glisse doucement au sauvage, ce qui lui confère actuellement une atmosphère de clair-obscur suranné et magique. La coexistence de cet espace fragile avec les activités humaines liées à la réaffectation du bâtiment propose un défi intéressant.
D’emblée, il paru important à l’atelier d’architecture paysagère «dessine-moi un jardin» de laisser parler le site, d’écouter ce qu’il portait en lui intrinsèquement, en l’absence d’interventions humaines. Le projet de réhabilitation du parc tient à respecter cette «personnalité», à maintenir l’acquis. La réappropriation du jardin consistera à accompagner en douceur la transition du parc d’origine paysagé au site semi-sauvage où il se dirigeait.
Apport de nouvelles plantations
Un recensement avec une appréciation sanitaire du tissu végétal; des interventions ciblées en vue du maintien des arbres et arbustes; l’apport de nouvelles plantations en sous-bois et dans la prairie en fonction des spécificités du terrain: ces étapes marqueront la première phase du projet. L’aménagement de places et de sentiers, étape suivante, se fera de façon souple, en respectant les zones traversées. Un entretien basé sur l’observation, la réflexion et la confrontation, des interventions peu invasives et l’acceptation de délaissés volontaires favorisant la biodiversité sont quelques une des pistes qui permettront non seulement de vivre ensemble ce parc, mais qui apporteront aussi un enrichissement du lieu.
D’ici l’été prochain, la vénérable bâtisse neuchâteloise sera la première de Romandie à avoir atteint le standard MINERGIE-ECO pour une rénovation patrimoniale. Un vrai succès que le bureau Lutz Architectes aborde avec humilité. «Pour peu que l’on sache l’écouter, le bâtiment dicte les règles de sa propre restauration, et nous pousse à chercher des solutions sur mesure, inventives et durables», conclut Aleksis Dind. (EV)
Intervenants
Maîtres d’ouvrage
Simone Walder-de Montmollin et Marie de Montmollin, Neuchâtel
Architecte
Lutz Architectes, Givisiez
Ingénieur
Martin Geiser, Mont-Soleil
Paysagistes
dessine-moi un jardin, Givisiez