Les chalets illustrent un rapport complexe entre la population et la montagne
Un chercheur de l'EPFL étudie la tendance à adopter le chalet comme habitat traditionnel en altitude. Dans un ouvrage très documenté, il explique le lien entre le rapport de la population à la montagne et la construction sociale forgée au XVIIIᵉ siècle.
Crédit image: Alain Herzog / 2022 EPFL
Chargé de cours en architecture à l'EPFL. Patrick Giromini déconstruit le mythe du chalet valaisan dans son ouvrage de doctorat.
Basé sur une importante recherche historique, foncière et juridique et sur des études de cas centrées sur le Val d’Hérens, l’ouvrage de l’architecte valaisan Patrick Giromini questionne indirectement, mais en profondeur, les pratiques architecturales et urbanistiques actuelles. Le chercheur préconise de concevoir les constructions rurales alpines comme un habitat ordinaire qu’il ne faut ni sauver à tout prix de la ruine ni monumentaliser.
Patrick Giromini a réalisé son doctorat en parallèle de ses activités de chargé de cours à l’EPFL au sein du Laboratoire des Arts pour les Sciences (LAPIS). Durant six ans, il a accompagné ses étudiants en architecture dans les Alpes valaisannes pour les faire dessiner des bâtiments utilitaires propres à la culture rurale. Le relevé leur permet de comprendre les logiques constructives de ces bâtiments et l'hypothèse de travail du chercheur s’est construite au fil des ans, grâce à leurs travaux.
Crédit image: LAPIS / EPFL
La région d'Evolène et son habitat traditionnel entièrement préservé ont servi de laboratoire.
«L’application à la montagne d’une morphologie urbaine, tant mentale qu’opérationnelle et normative, trahit les raisons propres à ce territoire.», indique l’architecte. Ce dernier aborde directement la question de l’abandon de ces bâtiments par l’entremise du cadre légal et juridique du patrimoine bâti. Son objectif : ne pas transformer la montagne en musée. «La question à laquelle je dois répondre est celle-ci: a-t-on le droit de percer une nouvelle fenêtre? C’est une question qui engage une durabilité tant matérielle, que sociale, économique et politique, car c’est un patrimoine complexe.» précise-t-il.
Le chercheur pense que le passé peut être une source d’inspiration, car les communautés montagnardes ne consommaient pas plus que les ressources à leur disposition et exploitaient le territoire à leur échelle. Un constat qui l’amène à s’interroger sur la situation actuelle: «Une économie sociale qui pousse absolument à exploiter touristiquement et de manière massive le territoire alpin est-elle correcte ?», se demande-t-il.
Poncifs alpins déconstruits
Le chercheur consacre ainsi une partie de son ouvrage à déconstruire ce qu’il
nomme les «poncifs alpins». Ceux-ci, pousseraient notre société depuis le
dernier quart du XIXᵉ siècle à «mettre à plat la montagne», pour introduire une
ressemblance morphologique avec la ville, tout en conservant l’idée paradoxale
que la montagne est le creuset de modes de vie préservés, car authentiques et
immaculés.
Le succès du chalet est à ce titre exemplaire depuis le XVIIIᵉ siècle, estime Patrick Giromini, «En Valais, historiquement, le chalet est un lieu, une étape du remuage, c’est-à-dire le déplacement du bétail du village aux alpages, et non une habitation temporaire ou stable, rappelle-t-il. Il est peu à peu devenu cette habitation typique, à la fois montagnarde et extraterritoriale, qui formalise une recherche d’exotisme et d’évasion, un lieu à la périphérie du monde civilisé qui répond à un besoin de pittoresque». Dans l’ouvrage, le chercheur souligne encore que la logique reproductible du chalet, pratiquée par l’industrie dès le XIXᵉ siècle, a participé à sa grande fortune jusqu’à nos jours.
Au lieu de se focaliser sur «le vieux chalet», chanté depuis des décennies, c’est toute l’exploitation du territoire alpin qui doit être repensée, selon Patrick Giromini. Et l’architecte de souligner encore cette contradiction, sous forme de pique: «Monumentaliser les villages alpins dessert ceux-ci tant que cela autorise des économies urbaines déstructurées en marge des villes, notamment dans les zones industrielles.»