L’architecture met à nu l’âme de l’horlogerie au Brassus
Tradition et innovation. Grandes complications et transparence. Depuis 1882, Audemars Piguet réalise des bijoux horlogers. Uniques et éternels. Dès aujourd’hui, la manufacture de la Vallée de Joux marque son époque en dévoilant au Brassus son Musée Atelier, un écrin design et intemporel. A l’image de ses chefs d’œuvres.
Depuis la route qui passe devant les édifices de la marque, dont le bâtiment historique qui date de 1868, on ne remarque rien. Le nouveau Musée Atelier Audemars-Piguet est d’une discrétion absolue, très helvétique, lové dans la pente douce qui s’ouvre sur la Vallée. Ce pavillon tout en transparence est partiellement enterré et représente une spirale, symbole hautement représentatif du monde horloger et référence directe au ressort spiral considéré comme l'âme de la montre mécanique. Sa section émergée au-dessus de la pelouse permet de découvrir une série de galeries vitrées et d’espaces qui font remonter le temps aux visiteurs.
Oxymoron horloger
Le projet est signé BIG, le cabinet d’architectes danois. Et Bjarke Ingels ne cache pas son enthousiasme: «Au Brassus, nous avons essayé d’intégrer complètement la géométrie et la performance, la forme et la fonction, l’espace et la structure, l’intérieur et l’extérieur dans un creuset symbiotique.» Et l’architecte de poursuivre: «Notre projet est conçu comme un oxymoron. Cette figure de style qui réunit deux mots, deux concepts en apparence contradictoires. Nous voulons que cet espace soit frappant, mais subtil. Contemporain, mais intemporel. Fonctionnel, mais sculptural. Sans attaches, mais ancré. Local, mais global.»
Ateliers et galeries
Le résultat est à la hauteur des aspirations de Bjarke Ingels et fait penser – toutes proportions gardées – au Guggenheim Museum de New York. «La forme de spirale revêt à la fois un grand intérêt architectural et de gros enjeux techniques, indique Michel Cuendet, directeur Réalisation chez CCHE, dont le bureau d’architecture a travaillé main dans la main avec BIG pour la réalisation de la spirale. Son déroulé offre un cheminement assez long, où on ne passe jamais deux fois au même endroit. Le parcours entremêlé, alternant galeries et ateliers, est conçu pour raconter une histoire aux visiteurs. Cet environnement ultra-contemporain propose en outre des ateliers pour les horlogers des grandes complications et ceux des métiers d’art. Au centre de l’édifice, une vingtaine de places de travail sur mesure accueillent ces stars du mouvement mécanique qui créent des œuvres d’art uniques à plusieurs centaines de milliers de francs.»
Le verre est porteur
L’édifice lui-même est un petit chef-d’œuvre de complications et de transparence, conçu sans le moindre pilier. Michel Cuendet loue le travail accompli par ses équipes: «La beauté et la simplicité de ce bâtiment laissent difficilement imaginer sa complexité technique et architecturale. L’exemple le plus significatif, ce sont sans conteste les façades vitrées. La toiture est entièrement soutenue par ces verres porteurs. Des verres si exigeants que nous avons dû trouver des partenaires spécifiques pour les développer et les réaliser. Dans les endroits les moins sollicités, il y a trois couches de verre collées, ce qui représente 4 cm d’épaisseur. Dans les parties les plus exigeantes, nous avons superposé cinq couches pour 7cm d’épaisseur. A cela, il faut encore ajouter une couche de verre pour l’isolation, ce qui nous donne une épaisseur totale de 13cm. Et quand on sait que ces vitres font 2,5m de large, de 3 à 6 mètres de haut et qu’elles sont incurvées, vous comprenez un peu mieux le défi que cela a représenté. Cette complexité, cette élégance, cette qualité unique sont à l’image de la marque.»
Faux plafonds actifs
Et le responsable de CCHE d’ajouter: «La finesse des détails est remarquable. Les joints et l’alignement des verres de façade dans le sol ou le faux plafond sont d’une grande précision.» Au niveau complexité, les faux plafonds sont à l’avenant avec leur forme en biais. C’est la société KST AG qui a été mandatée pour la réalisation de ces faux plafonds actifs dont la matière et les formes représentent un projet unique. En effet, les plaques sont en laiton brut verni; leurs formes sont trapézoïdales et rectangulaires. Malgré leurs dimensions
et le poids, elles restent démontables. De plus, les perforations ont été dessinées plaque par plaque… pour un total de plus de cinq millions de trous!
Le BIM pour une réalisation de haut vol
«Réaliser un bâtiment d’une telle complexité – tout en courbes et dénivelés – avec des partenaires internationaux requiert des moyens techniques de haut vol, concède Michel Cuendet. Cela a été notamment le cas pour la coordination de tous les plans et détails en BIM. Quand le projet a commencé en 2016, nous avons immédiatement développé et alimenté la maquette numérique qui était loin d’intégrer toutes les fonctionnalités d’aujourd’hui.»
Philippe Steiner, architecte et responsable BIM chez CCHE, avait présenté plus en détail l’implémentation du BIM lors d’une conférence en automne 2018: «Le Musée Atelier Audemars Piguet a une géométrie complexe. Pour pouvoir collaborer efficacement entre le chantier au Brassus, CCHE à Lausanne, les bureaux BIG à Copenhague et New York, nous avons travaillé en open BIM. Partant d’une maquette modélisée en Rhino, les documents d’exécution et les détails d’architecte ont été développés en ArchiCAD, pendant que les installations techniques ont été élaborées en Revit. La maquette est également utilisée sur site par les directeurs de travaux, pour communiquer avec le bureau d’études à Lausanne. Durant les séances de coordination, la maquette numérique est utilisée pour mieux visualiser les espaces.»
Reconstitution millimétrée
La spirale de verre attire certes tous les regards, mais ce musée-atelier ne se résume pas à ce bijou de lumière. Elle est en effet rattachée à la Maison des Fondateurs, le bâtiment historique qui a vu Jules Audemars et Edward-Auguste Piguet fabriquer leurs premières montres. Si la visite débute par l’univers ultra contemporain et design, elle s’achève dans les vieilles boiseries. Un voyage dans le temps et un jeu de contrastes entièrement assumé. Dans ce monde du passé, il sera notamment possible de s’émerveiller devant l’atelier de restauration où les spécialistes sont capables de retracer l’histoire de chaque création et de fabriquer les pièces endommagées sur la base des registres de la manufacture.
Gros travail de recherche
«Notre concept architectural pour rénover et aménager la Maison des Fondateurs s’est appuyé sur un gros travail de recherche historique avec le conservateur du musée, précise Michel Cuendet. Pour garder le goût de l’authentique, nous avons été jusqu’à récupérer des boiseries anciennes dans des fermes de la vallée. Une grande partie des revêtements muraux présente
de véritables œuvres historiques en bois provenant des maisons du village voisin.»
Visite payante
A préciser encore que le public ne pourra pas se présenter à l’improviste pour découvrir cette merveille architecturale et ses trésors. Le Musée Atelier Audemars Piguet est en effet une expérience intimiste et privilégiée. Il faut s’inscrire à l’avance par groupes d’une demi-douzaine de personnes. La visite est payante.