07:00 ARCHITECTURE

« Le défi consiste à maximiser les différences … »

Teaserbild-Quelle: Yukio Futagawa

On ne présente plus Sir Norman Foster, longtemps établi en terre vaudoise à Gilly, au-dessus de Rolle. A l’occasion de la magnifique rétrospective du Centre Pompidou à Paris, le célèbre architecte britannique, prix Pritzker 1999, s’est livré en détail à Frédéric Migayrou, commissaire de l’exposition.

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Crédit image: Yukio Futagawa

Sir Norman Foster.

Norman Foster, vous avez travaillé sur de nombreux types de programmes, y compris des aéroports, des systèmes de transport, des musées, des universités, et pour chacun d’entre eux, la question de la localité du site où prend place chaque projet est toujours présente. Quelle est, selon vous, la relation entre la vision globale de l’architecture que vous développez et la spécificité de chaque contexte ?

Les tendances sont mondiales dans les villes. Par exemple, pour la relation entre la mobilité et l’espace public – que ce soit à Séoul, à Boston ou à Madrid, les tendances que nous observons sont les mêmes. Nous constatons que les systèmes routiers sont partiellement enfouis ou détournés et que l’on donne plus d’espace aux individus et à la nature. Mais ce qui se passe en surface est lié à un endroit particulier; chaque ville est différente. C’est la même chose avec un bâtiment individuel. Le défi consiste à maximiser les différences plutôt qu’à tout homogénéiser. La réponse est donc d’encourager cet ADN local, cette culture locale, d’y être sensible et d’avoir le meilleur des deux mondes. Bref, chaque projet doit être à sa place.

Comment cette vision de la complexité urbaine et architecturale a-t-elle pris forme ? Comment en êtes-vous arrivé à votre approche de l’architecture ?

Enfant, j’ai été attiré par les magazines et les livres qui montraient les technologies de pointe de l’époque, avec des dessins qui en révélaient les composants internes. Lorsque j’ai réalisé mes premiers dessins à l’école d’architecture de Manchester, j’ai choisi de ne pas me limiter aux plans, sections et élévations, qui sont bidimensionnels. Je démontais aussi ces bâtiments, je voyais comment ils fonctionnaient et je les dessinais en trois dimensions. Si mes dessins sont devenus plus sophistiqués, ils cherchent toujours à expliquer le fonctionnement interne et les systèmes d’un bâtiment.

Après avoir obtenu votre Master Degree, vous avez obtenu une bourse pour étudier aux Etats-Unis, à l’université de Yale où vous avez rencontré Richard Rogers. L’influence d’architectes comme Louis I. Kahn, Paul Rudolph, Serge Chermayeff a été déterminante...

Je pense que les influences peuvent être conscientes ou inconscientes – et nous en sommes tous le produit. Si je pense à ma première expérience en entrant à l’école d’architecture, qui était située dans le bâtiment Louis Kahn de la galerie d’art de l’université de Yale, je me souviens de la célèbre photo de Kahn regardant le plafond en forme de grille. Ce plafond n’aurait jamais vu le jour sans le travail de pionnier de Richard Buckminster Fuller, l’un de mes premiers mentors, avec lequel j’ai ensuite travaillé sur plusieurs projets au début de ma carrière. Une autre influence à cette époque était les Case Study Houses, qui avaient un prestige extraordinaire.

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Crédit image: Nigel Young / Foster + Partners

30 St Mary Axe, Londres (Royaume-Uni), 1997-2004.

De retour à Londres, vous avez formé l’agence Team 4 avec Georgie Wolton, Wendy Chesman, Su Brumwell et Richard Rogers. Quel était le fonctionnement de l’agence à cette époque?

Il y avait une interaction entre l’agence en tant que lieu de travail créatif et expérimental et les projets de l’époque. Nous bousculions la norme de l’agence d’architecture, qui se trouvait généralement dans une maison géorgienne, peu profonde et compartimentée, avec de petites fenêtres et des bureaux individuels – le contraire de ce que nous essayions de faire. A l’époque, les architectes produisaient un projet et le remettaient ensuite à un ingénieur, qui le faisait tenir debout. Dans nos bureaux, nous travaillions de manière non linéaire et envisagions la réunion de toutes les disciplines – c’est l’idée de la table ronde, qui reste toujours au cœur de notre travail. Autour de cette table, nous examinions simultanément un projet du point de vue de sa structure, de ses systèmes environnementaux et de son coût; c’était une façon de penser systémique.

La notion de « design systems » accompagne tout votre travail. Comment abordiez-vous les notions de système et d’intégration, et en quoi ont-elles été déterminantes ?

Je dirais que c’est la naissance de quelque chose qui a inspiré tout ce que nous avons fait depuis. Tout a commencé à l’école d’architecture de Yale. Lorsque l’on m’a présenté un projet de conception d’une grande tour, j’ai demandé au doyen, Paul Rudolph, si je pouvais travailler avec un ingénieur. C’était une hérésie – l’idée de s’engager de manière créative avec un ingénieur plutôt que de concevoir à la façon d’un maestro. Selon moi, cet esprit de collaboration a été libérateur et je me suis senti plus autonome en tant qu’architecte. L’environnement de notre agence est conçu pour encourager ce mode de pensée et faire tomber les barrières entre les différentes disciplines. Par exemple, une structure peut être conçue de manière à ce que vous puissiez faire passer les services du bâtiment dans ses vides. Cela va à l’encontre du mode de pensée traditionnel, qui consiste à concevoir la structure et à suspendre les gaines en dessous.

Je pense que notre approche produit des bâtiments plus performants et plus joyeux. Si j’avance rapidement jusqu’à notre projet pour l’Apple Park, les dalles de béton intègrent des tuyaux de petit diamètre, qui les chauffent et les refroidissent, ainsi que des barres d’armature qui permettent au bâtiment de fonctionner structurellement. Le béton est poli comme une pierre rare. Le résultat final est non seulement plus beau, mais c’est aussi un bâtiment beaucoup plus compact et écologiquement durable. 

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Crédit image: Chuck Choi

Grande cour du British Museum, Londres (Royaume-Uni), 1994-2000.

A une certaine période, votre intérêt pour une pensée systémique a croisé des recherches similaires du célèbre architecte, Richard Buckminster Fuller. Lorsque vous l’avez rencontré, vous avez formalisé de nouveaux concepts, notamment celui d’« enveloppe » consistant à obtenir un volume maximum avec une enceinte réduite au minimum.

Je pense que l’approche que nous avons développée et fait évoluer – considérer le bâtiment comme une intégration de divers systèmes, structurels, environnementaux, etc. – est une version construite de la philosophie de Fuller, qui consiste à « faire plus avec moins »... L’idée de formes capables d’enfermer un maximum de volume avec un minimum de murs extérieurs est un facteur déterminant en termes de durabilité. Foster Associates est né en même temps que l’idée d’« architecture verte », même si cette expression n’avait pas encore été inventée.Il y avait Rachel Carson, qui attirait l’attention sur l’impact des pesticides sur les écosystèmes de la planète dans son livre Printemps silencieux. Les astronautes d’Apollo ont capturé la célèbre image du lever de Terre, qui nous a fait prendre conscience de la très fine couche protectrice qui entoure la planète... Il y a aussi eu la cybernétique de Norbert Wiener, qui a eu un impact important à cette époque. Consciemment ou inconsciemment, je pense que ces événements ont inspiré la clarté et le niveau de performance de notre architecture.

Par le passé, vous avez évoqué votre approche systémique, dans laquelle les éléments constitutifs d’un bâtiment sont décomposés et, une fois réassemblés, créent un tout plus grand que la somme de ses parties. Cette conception holistique est très éloignée des théories du postmodernisme qui avaient cours à l’époque.

Je pense que l’arrivée du postmodernisme est vraiment le moment où la mode et le style ont subverti le design. Notre approche, qui consistait à considérer un bâtiment comme une intégration de systèmes, était axée sur les interdépendances : vous changez une chose et cela a un effet d’entraînement. Ce que nous faisions était certainement à contre-courant. A l’époque, je voyais l’essence du design non pas comme une mode et un style, mais comme une réponse à des besoins.

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Crédit image: Daniel Jamme /Eiffage

Le viaduc de Millau, en Aveyron (France), 1993-2004.

Vous avez souvent été associé au mouvement high-tech. C’est une idée que vous avez écartée, affirmant votre préférence pour une vision plus structurelle… Comment définiriez-vous votre conception de la technologie?

Je pense que la technologie est un moyen de parvenir à des fins sociales – pour remonter le moral et vous protéger des éléments. En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement d’être à l’aise, mais de créer un style de vie, quelque chose qui relève du plaisir. Il s’agit en fait de dissoudre la structure et les services, de les intégrer afin qu’ils s’évaporent visuellement.

Si vous regardez le Centre Pompidou de Richard Rogers et Renzo Piano, il célèbre ses services : vous pouvez voir les éléments structurels et de service depuis l’extérieur. Si vous regardez notre Sainsbury Centre for Visual Arts, édifié à la même époque, vous avez une structure et tous les services qui y sont intégrés. Ainsi, la structure est conçue pour la performance environnementale, mais également pour la performance structurelle. L’objectif était de créer un bâtiment qui soit sain, un bâtiment qui respire. Je dirais qu’il s’agit d’une approche personnelle, née de la théorie des systèmes qui était appliquée dans d’autres domaines à l’époque.

Le Centre Pompidou s’offre une rétrospective exceptionnelle

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Quelle: Jean-A. Luque

Quel plaisir de découvrir les oeuvres et projets de Norman Foster avec en arrière-plan l’exosquelette du centre Pompidou conçu par les architectes Renzo Piano et Richard Rogers.

Figure majeure de l’architecture mondiale, souvent considéré comme un leader du courant dit « high tech », le Britannique Norman Foster a signé de nombreuses réalisations iconiques dans le monde.

La rétrospective que le Centre Pompidou lui consacre sur près de 2200 m², retrace les différentes périodes du travail de l’architecte et met en lumière quantité de ses réalisations déterminantes, tels que le siège de la HSBC (Hong Kong, 1979-1986), le Carré d’Art (Nîmes, 1984-1993), l’Aéroport international de Hong Kong (1992-1998) ou l’Apple Park, (Cupertino, États-Unis, 2009-2017). La scénographie de l’exposition est conçue par Norman Foster et réalisée en collaboration avec Foster + Partners et la Norman Foster Foundation.

Dessins, esquisses, maquettes originales et dioramas, ainsi que de nombreuses vidéos, permettent de découvrir 130 projets majeurs. Dès l’entrée du parcours d’exposition, le visiteur est conscient du caractère unique de cette rétrospective. En effet, un grand cabinet de dessins dévoile des carnets, esquisses et photographies prises par l’architecte, jamais montrées. Un regard intime et privilégié dans les entrailles de la création.

A découvrir au Centre Pompidou à Paris jusqu'au 7 août.

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