08:05 ARCHITECTURE

«Mieux vaut choisir le BIM que le subir»

L’investissement dans le BIM est-il réservé à de puissantes entreprises totales ou les architectes doivent-ils aussi faire le saut? Le bureau lausannois TRIBU a pris le pari de s’y investir tôt et fait part, sans fard, de son vécu. Un retour d’expérience à découvrir en live le 14 mai prochain dans le cadre de l’Open BIM Tour.

En quelques années à peine, le BIM est devenu omniprésent dans le monde de la construction. Tout le monde en parle, s’interroge… Va-t-il devenir incontournable? En Suisse romande, quelques réalisations spectaculaires ont été et sont réalisées grâce au Building Information Modeling, souvent sous l’impulsion d’architectes ou de bureaux d’ingénieurs internationaux. C’est le cas du nouveau siège du Comité international olympique sur les rives du Léman ou du Musée Atelier Audemars Piguet prochainement inauguré à la vallée de Joux. Quelques entreprises suisses se sont aussi rapidement approprié ce nouveau mode de travail. Itten+Brechbühl et Losinger Marazzi, notamment, ont démontré leur savoir-faire avec l’exceptionnel Vortex cylindrique qui a servi de village olympique cet hiver.

Il s’agit là bien sûr d’objets de prestige réalisés avec des moyens considérables. Mais qu’en est-il pour les sociétés plus modestes et les objets immobiliers moins imposants? L’investissement dans le BIM est-il réservé à de puissantes entreprises totales ou les architectes doivent-ils aussi faire le saut? Pour quel gain? A quel prix?

Peur du saut vers l’inconnu

Le bureau lausannois TRIBU architecture est actif depuis une vingtaine d’années. Avec sa quarantaine de collaborateurs, ses projets de logements et d’urbanisme à l’échelle romande, il a été confronté à cette question du BIM. Alors que beaucoup redoutent et reculent le moment de faire le saut, voire s’y refusent, TRIBU a pris le pari de s’y investir tôt.

D’emblée, Christophe Gnaegi, directeur de TRIBU, met le BIM en perspective: «Le BIM n’est qu’un outil qui permet d’échanger des données et d’améliorer la coordination. Au début on est un peu perdu; cela fait un peu peur parce qu’on ne connaît pas. Ça a l’air très technique, très compliqué. Mais une fois dedans, on réalise qu’il n’y a pas de raison de redouter ce saut. On fait comme avant, mais de manière plus efficace.»

Pour TRIBU, tout a commencé réellement en 2017. «Le BIM nous intéressait déjà depuis un moment, nous en parlions régulièrement, poursuit Christophe Gnaegi. On se disait: mieux vaut choisir que subir. Et là nous avons démarré avec le projet du quartier d’habitation Eglantine à Morges (14 bâtiments permettant d’accueillir 900 habitants, NDLR) avec Losinger Marazzi. Pour travailler avec eux, le BIM était une condition sine qua non. C’était la bonne occasion.»

Formation et coaching

Losinger Marazzi est sans l’ombre doute un des moteurs du BIM en Suisse. TRIBU a pu profiter pleinement de cette expérience, comme le confirme son directeur: «Ils ont fourni des chartes, tout mis en place, protocolé, structuré. Pour notre part, nous nous sommes adaptés; nous avons changé de logiciel pour passer sur ArchiCAD, car malgré tout ce qu’on entend ce n’est pas toujours évident au niveau de la compatibilité entre logiciels différents. Bien sûr, des collaborateurs ont suivi des cours sur le nouveau logiciel et nous avons fait appel à Advent pour du coaching. Une formation continue au cours de laquelle nous avons pu poser beaucoup de questions.»

Pour Pierre Burgener, architecte chez TRIBU, les avantages sont évidents: «Le BIM nous permet de mieux communiquer avec les autres partenaires grâce à la maquette virtuelle. Avec elle, les changements et tous leurs enjeux sont visibles instantanément. Il y a trois points en particulier qui font du BIM un outil intéressant. Primo: l’échange. Tout le monde travaille ensemble sur un seul projet commun. On tire tous à la même corde. Deuxio: la communication. On communique mieux, les mandataires voient immédiatement les enjeux, ce qu’implique telle ou telle modification. Tertio: le monitoring. Avec tout le data dont on nourrit la maquette virtuelle, ça nous permet de mieux cerner les choses. C’est un outil précieux d’aide à la décision. On voit immédiatement avec telle ou telle variante ce que cela implique en termes environnementaux, économiques ou spatiaux. On voit le résultat et on a des chiffres très rapidement.»

Le maillon faible du système

On pourrait imaginer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais Pierre Burgener ne cache pas les écueils: «Il faut bien reconnaître que beaucoup d’entreprises de second œuvre ne sont pas équipées pour lire des modèles 3D. Et là on perd du temps.» Christophe Gnaegi confirme: «Elles sont indéniablement le point faible du système, mais elles vont devoir s’y mettre. C’est comme pour le fax, il a fallu 15 ans avant que tout le monde l’abandonne pour se mettre aux emails.» Sans compter que, comme le précise le dirigeant «pour une petite structure, c’est compliqué. L’investissement est non négligeable. Sur le projet Eglantine nous avons aujourd’hui trois collaborateurs qui travaillent le BIM. Trois autres s’emploient sur un autre projet en BIM, le BLED (bâtiment mixte en coopérative d'habitants de 77 logements, NDLR) dans l'écoquartier des Plaines du Loup à Lausanne. Et nous avons également un informaticien qui suit une formation de coordination BIM pour implémenter le BIM dans toute l’entreprise. Il faut aussi tenir compte que certains collaborateurs ne veulent pas se retrouver enfermés là-dedans; il faut vraiment s’entourer de personnel motivé, car c’est un travail souvent long et fastidieux.»

Retour sur investissement?

Reste encore à savoir si le retour sur investissement est vraiment intéressant? La réponse est nuancée. «En BIM, nous n’avons actuellement que ces deux projets, concède Christophe Gnaegi. Nous le proposons systématiquement à nos clients en mettant en avant les avantages que peut en retirer le maître d’ouvrage. Mais en fin de compte cela dépend toujours de sa volonté. C’est un long processus; les projets mettent du temps à démarrer, les retours sont encore rares. Il faut avouer que nous ne voyons pas encore beaucoup les bénéfices. Mais nous nous donnons les moyens de le faire: la formation «Coordination BIM» de notre informaticien, Jun Yang, y contribue. Selon lui, si le BIM demande une compétence technique, c’est en réalité beaucoup plus que cela… Une refonte organisationnelle est également nécessaire.»

Quoi qu’il en soit, chez TRIBU, on est catégorique: «Ça vaut le coup, conclut le patron, d’autant plus que cela sera obligatoire pour bien des commandes. Certes, il ne faut pas négliger l’importance de l’investissement et ça ne marche pas encore sur toute la ligne. Cela nécessite une pesée d’intérêts. Mais si on se lance, il faut le faire complètement et c’est plus agréable quand on le fait sur un mode volontaire plutôt que contraint.»

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