11:43 ARCHITECTURE

Lausanne a modelé sa nouvelle Ecole hôtelière comme un village

Écrit par: Jean-A Luque
Teaserbild-Quelle: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez

A presque 130 ans, l’Ecole hôtelière de Lausanne fait peau neuve et devient EHL Hospitality Business School. Et pour bien marquer ce virage stratégique, l’EHL a achevé en novembre 20’22 son extraordinaire campus de plus de 55 000 m². Le complexe peut accueillir quelque 3200 étudiants, soit le double qu’il y a cinq ans. A terme, ils pourront être plus de 4000 à y étudier. Parmi les nouveautés, des logements et espaces de vie à la pointe de la modernité, des nouveaux restaurants abrités par une verrière spectaculaire, ainsi que des infrastructures pédagogiques et sportives.

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Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez

Bienvenue à EHL City. Mémoire et valeurs traditionnelles sont représentées par la Ferme historique et un patio où trône un amélanchier.

Il y a de cela encore quelques années, l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) cultivait ses qualités purement helvétiques : rigueur, excellence, discrétion. A l’écart de la ville, l’EHL vivait un peu isolée, auréolée de sa réputation de meilleur institut de formation au monde dans son domaine. Mais à l’heure de l’internationalisation et de la globalisation, la lutte est féroce pour attirer les meilleurs étudiants qui deviendront les futurs managers de l’hôtellerie et la restauration, mais aussi de bien d’autres secteurs, tels que la banque, le luxe ou encore le conseil.

Pour marquer sa nouvelle identité, l’EHL a investi massivement dans un nouveau campus. Finie la porte d’entrée dérobée, à l’écart de l’axe Lausanne-Berne. Aujourd’hui, un giratoire spécialement aménagé sur la route de Berne guide les visiteurs vers une entrée aussi visible qu’imposante et un ample parvis qui mène à l’espace d’accueil du campus, éclairé par un patio où trône un amélanchier entouré de miroirs d’eau. La réception autrefois modeste a été remplacée par un hall d’accueil digne d’un aéroport, lumineux, aéré, accueillant. Bienvenue à EHL City.

Pour créer cette nouvelle cité universitaire, l’effort a été considérable. Un peu plus de 240 millions de francs ont été investis dans un chantier complexe et protéiforme qui a duré cinq années. Le campus s’étend sur 80 000 m² de surface, dont 55 000 m² pour les nouvelles constructions. Une centaine de mandataires et spécialistes, mais aussi jusqu’à plus de trente personnes au pic du projet rien que pour le bureau d’architectes.

« Cette nouvelle EHL, explique Nils Gunzinger, Real Estate Services Director du Groupe EHL et maître d’œuvre, ce sont plus de 50 projets dans un seul projet. C’est un défi sur chaque mètre carré. Il y a des logements, des lieux de rencontre, des boutiques, une piscine, un espace spa, un atrium, douze points de restauration. Et puis, il y a aussi les extérieurs, avec les terrains de sport et les jardins. Sans oublier les souterrains d’accès et les locaux techniques. »

Pour vraiment comprendre les enjeux de ce chantier pharaonique, il est nécessaire de reprendre depuis le début, il y a de cela environ dix ans. L’EHL a fait office d’incubateur d’idées, en proposant un concours à des étudiants d’architecture à travers le monde. Au final, un masterplan a été développé par des futurs architectes du Portugal, d’Espagne et des Etats-Unis.

Passé et futur ne font qu’un
Dès 2014, les architectes du bureau Itten + Brechbühl (IB+) ont rejoint le processus et développé le projet final en gardant à l’esprit deux points primordiaux : être capable de répondre aux besoins de demain tout en gardant l’ancrage du temps passé. C’est donc tout naturellement que la ferme historique, au centre du campus, a été démontée, conservée et reconstruite à l’identique. Elle est la garante de la tradition, le témoignage du souvenir, autant d’un point de vue historique que comme lieu de mémoire de tous les étudiants. Symboliquement, juste en dessous, se trouve la nouvelle réception, un espace ouvert, structuré par douze piliers porteurs qui reprennent le contour de la ferme.

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Crédit image: Jean-A. Luque

L’espace d’accueil du campus et la réception sont design et chaleureux, dignes des espaces VIP d’un aéroport vaste et lumineux.

Avant cela, les bâtiments académiques existants ont été surélevés. 19 mois ont été nécessaires à la réalisation de cette première phase des travaux destinée à augmenter largement les salles de classe et faciliter la vie quotidienne des étudiants. La suite du chantier s’est consacrée à la construction de trois résidences d’étudiants. Ces trois nouveaux blocs d’habitations en U offrent 850 lits. Les chambresse déclinent en cinq types. Aux studios de 16 m² et aux chambres doubles de 25 m² qui représentent la très grande majorité des unités d’hébergement s’ajoutent deux types de pièces adaptables pour les personnes à mobilité réduite et des chambres d’application. Les chambres ont été pensées comme des bulles de tranquillité simples et épurées où la sphère privée est respectée.

Une trame de 8,10 m rythme les trois bâtiments de logement et l’ensemble du projet. Cela garantit une structure flexible et des possibilités d’évolution dans la disposition des locaux. De plus, la structure a été dimensionnée pour que tous les bâtiments de logements puissent être rehaussés si besoin dans le futur.

« Ce que j’aime le plus dans ces résidences d’étudiants, souligne Nils Gunzinger, ce sont les atriums. Entre chaque aile des trois bâtiments, ces vastes espaces communs dont la hauteur varie entre 9 et 12 m permettent aux étudiants de se retrouver pour se détendre ou travailler. Avec leurs immenses baies vitrées, ces atriums sont ouverts sur la forêt du Jorat qui se glisse entre les bâtiments et offre ainsi un magnifique tableau. »

Comme un iceberg, la surface visible de l’EHL n’est rien en comparaison de ce qu’elle recèle dans ses entrailles. En dessous de ces trois édifices se trouvent bien sûr les interminables souterrains d’accès et les locaux techniques, mais aussi et surtout une double salle de sport dotée de gradins fixes avec 370 sièges, une piscine de 25 m, un fitness avec salles de cours. Un peu plus au sud, sous l’accueil de l’EHL, se trouve également le parking pour 600 véhicules. « La nappe phréatique a constitué un sacré challenge, révèle le maître d’ouvrage. En effet, le deuxième niveau du garage est six mètres en dessous du niveau de l’eau. La pression sous le radier est de 6 tonnes par mètre carré. Il a fallu planter des milliers de pieux pour maintenir le radier et compenser la pression exercée par l’eau. »

La verrière de tous les superlatifs
Mais toutes ces merveilles d’architecture et d’ingénierie ne sont rien en comparaison de la pièce maîtresse de l’EHL : la verrière. Pour y accéder depuis l’accueil, on emprunte un escalier monumental en bois qui aurait pu être de toute beauté s’il n’était entaché d’une des rares fautes de goût de l’établissement : une série d’écrans LED incrustée dans les contremarches.

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Crédit image: Jean-A. Luque

La verrière est sans conteste la pièce maîtresse de l’EHL. L’espace en paliers est surplombé d’une impressionnante surface vitrée d’environ 2500 m², longue de 125 m, haute de 4 à 5 étages.

Mais, très vite, la structure attire le regard. L’espace en paliers est surplombé d’une impressionnante verrière d’environ 2500 m², longue de 125 m, haute de 4 à 5 étages. C’est le lien lumineux entre l’ancien campus et le nouveau. Afin de rejoindre le niveau des cours académiques existants, les architectes ont imaginé le lieu comme une volée de marches magistrales. Selon les niveaux, on y distingue une brasserie haut de gamme, un restaurant végane, des salles de réunions et des lieux d’études.

La charpente métallique bien visible est soumise à de nombreuses contraintes de poids, de dilatation et bien sûr de liaison avec les verres. « Elle nous a occasionné bien des sueurs froides, soupire Nils Gunzinger. En effet, l’entreprise en charge de la verrière est tombée en faillite en 2020. C’était en décembre. Il a fallu retravailler un appel d’offres et remise au concours pour une reprise des travaux fin avril 2021. Ce n’était pas évident de trouver une société capable de reprendre le travail en cours, capable de s’ajuster à la structure métallique déjà existante. Mais nous y sommes parvenus. »

Pour piloter ce travail aux multiples constructions, « le BIM s’est imposé comme une évidence, confirme le directeur. Nous sommes toujours dans le même esprit qui caractérise le groupe EHL : innover. Alors, c’était normal d’implémenter le BIM dès le départ. Nous avons une technologie nouvelle à intégrer à un projet hors normes. Pour la plupart de nos mandataires, c’était une première ou presque. Et comme pour toutes les premières, nous avons été confrontés à des difficultés. Il fallait que tout le monde comprenne les enjeux. Le plus difficile a été de faire parler le même langage à tout le monde. »

BIM incontournable
Tout le campus est donc modélisé pour mettre en relation la GMAO (gestion de maintenance assistée par ordinateur) avec le facility management, la gestion des infrastructures et les assets. En effet, l’utilisation des données du BIM pour les services généraux d’un tel établissement est une source d’information extraordinaire. Toutes les caractéristiques techniques et fonctionnelles des bâtiments sont transcrites dans un même système et en optimisent l’exploitation et la maintenance.

« On veut utiliser le BIM pour nous accompagner jusqu’à la fin de la vie du complexe, insiste Nils Gunzinger. Ce que nous voulons c’est gérer les informations de base à un bon niveau de détail. Il faut éviter de se perdre dans la masse de data. Pour que ça fonctionne, il faut mettre le curseur au bon endroit. Déterminer de quoi nous avons vraiment besoin. Est-ce que j’ai vraiment l’utilité de superviser la vie de tous les stocks jusqu’à la fin ? Je crois que nous avons trouvé un bon équilibre pour gérer le CVS, l’électricité, le mobilier, les espaces… »

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Crédit image: Jean-A. Luque

La piscine, dont le bassin est surélevé, a dû être construite deux fois. En effet, lors de la mise en eau, des fuites sont apparues ! Il a fallu repiquer le carrelage et tout recommencer.

L’ensemble du complexe sera labellisé Minergie-P® et 58 % de l’empreinte carbone de sa construction a d’ores et déjà été entièrement compensée. Le site est équipé de 47 sondes géothermiques qui puisent la chaleur à 400 m de profondeur. 90 % de la production d’eau chaude sanitaire et de chauffage est assurée par six pompes à chaleur : une sur la récupération de chaleur des eaux usées, trois sur les sondes géothermiques et deux rehaussant la basse température (40° C) en haute température (70° C) pour permettre la production d’eau chaude sanitaire. Le 10 % de production de chaleur restante est produit par trois chaudières à gaz de secours pour lisser les pics de consommation.

« Nous avons toujours voulu la maîtrise totale du projet »

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Quelle: Jean-A. Luque

Que de chemin parcouru. En 2020, Nils Gunzinger surveillait les travaux de gros oeuvre et imaginait déjà comment s’élèverait la verrière et toutes les liaisons entre les différents espaces

Lorsqu’un maître d’ouvrage envisage un projet aussi ambitieux et varié qui s’étale sur presque une décennie, il est de plus en plus fréquent de déléguer le chantier à une entreprise générale. Mais vous non. Pourquoi ?

Nils Gunzinger: Cela n’a jamais été notre souhait. Notre volonté a toujours été d’avoir une maîtrise totale du projet. De partir en lots séparés, nous a permis de maîtriser tant les coûts que l’ensemble des choix architecturaux, les finitions, les entreprises, etc. Sans cela, nous aurions très probablement dépassé le cadre budgétaire pour un résultat non conforme à nos attentes.

Mais cela représente juste un travail de fou …

Nous avons clairement sous-estimé l’ampleur de la tâche. Néanmoins, nous avons su créer une petite équipe interne de pilotage pour l’exécution de ce projet où chaque personne impliquée avait son propre rôle. Mais c’est vrai que cela a été un boulot titanesque. C’est un peu comme si nous étions partis grimper dans l’Himalaya équipés avec des affaires de plage.

Quand on arrive au sommet, quand je me retourne sur l’intensité du travail et toutes les problématiques liées à un chantier d’une telle ampleur, je commence à réaliser le chemin parcouru et l’ouvrage réalisé.

Pas de regrets ?

Etre parti en lots séparés, c’était définitivement le bon choix. Mais le travail, la charge que cela représente, être sur chaque détail… c’était démentiel. A l’arrivée, nous avons eu quelque 900 fiches de modification transmises par la direction des travaux. A chaque fois cela demandait d’analyser, de pondérer, d’optimiser, de retravailler... pour parfois simplement refuser.

Pour donner une image, nous étions confrontés à une dizaine de problématiques par semaine, parfois chaque jour. Nous en travaillions et réglions cinq ou six et le lendemain, il y en avait dix nouvelles. Et c’était comme ça en continu… Un jour sans fin.

Et comment fait-on pour y parvenir quand même ?

Il faut beaucoup de rigueur et de compétences pour y parvenir. Mais nous avons eu la chance d’avoir une équipe extraordinaire pleinement impliquée qui connaît la genèse du projet, son historique et qui a toujours été présente depuis le départ. Et puis, nous sommes fiers d’avoir tissé des relations extrêmement fortes avec toutes les entreprises engagées, des architectes, des ingénieurs, des mandataires, des ouvriers. Certains électriciens ou sanitaires ont travaillé uniquement sur ce site pendant cinq ans. Cette proximité a beaucoup aidé, nous avons beaucoup parlé sur le terrain.

Ce contact permanent, c’est la clé du succès ?

Oui. C’est une grande histoire de collaboration et de respect qui a participé à la réussite du chantier. Dans l’ensemble, nous avons vraiment eu affaire à de très bonnes entreprises et mandataires. Nous avons eu des contremaîtres exceptionnels. Il y a une complexité et une qualité de finition fantastique. Finalement, la réussite repose uniquement sur l’humain.

Sur un projet de cette taille, il est peu probable que les entreprises aient fait des bénéfices. Par contre en termes de référence, d’excellence et de fierté, c’est une magnifique carte de visite.

Entre le projet initial et le résultat final, on a l’impression que tout s’est déroulé parfaitement. L’EHL de vos rêves est devenue réalité ?

C’est vrai qu’aujourd’hui quand je regarde le résultat, je me dis qu’on navigue pour de vrai dans les représentations 3D des architectes. Bien sûr il y a eu quelques changements, mais surtout au niveau de l’agencement. La Ferme, par exemple, ne devait accueillir initialement qu’un bar. Et puis le Montreux Jazz Festival s’est associé à l’EHL pour y installer un Montreux Jazz Café, il a donc fallu modifier l’ouvrage, y accommoder une scène, agrandir le bar, ajouter une plonge.

Pour la salle de sports, il y a eu quantité d’idées et de projets. On a même étudié la possibilité d’installer un sol où les lignes des différents terrains de volley ou de basket seraient illuminées par des LED ; on s’est demandé comment intégrer les gradins, amovibles ou pas. Au final l’empreinte de la salle de sports n’a pas bougé, mais l’agencement, lui, a fluctué au fur et à mesure de l’avancement des travaux et des demandes des utilisateurs.

Dans la verrière, nous avions initialement imaginé un deuxième food court, mais on a finalement décidé d’y installer un restaurant végane qui répond davantage aux attentes de notre communauté. En fait, on a modifié tout le temps, mais gardé l’esprit et l’enveloppe du projet.

Cinq ans d’un chantier gigantesque, on imagine bien que vous avez dû être confronté parfois à des gros soucis et des nuits blanches.

La piscine, dont le bassin est surélevé, nous a donné quelques sueurs froides. Quand nous l’avons mise en eau, nous avons découverts des fuites. Elle n’était pas étanche ! Il a fallu repiquer le carrelage et tout recommencer. En fait, on l’a construite deux fois.

Parmi les autres problèmes de taille qui me viennent à l’esprit, il y a la faillite de l’entreprise en charge de la verrière et des façades en verres, la pandémie – qui même si elle n’a eu pour conséquence qu’un arrêt de chantier de quelques semaines – a eu un impact considérable sur le planning avec un fort ralentissement de certains corps de métier et l’installation supplémentaire d’une logistique importante. Sans compter tous les impacts sur les matières premières et les composants électroniques qui ont ralenti certaines livraisons.

Les hivers rigoureux que nous avons eus et qui se sont succédé ont ajouté une couche supplémentaire de complexité. Et n’oublions pas le maintien du fonctionnement de l’institution tout en garantissant l’avancement du chantier. Il y aurait mille histoires à raconter.

Il ne reste donc plus qu’à profiter de vos installations.

Encore un peu de patience. Le calibrage de toutes les installations techniques CVS, supervision, télégestion, retouches, etc. va prendre encore six mois ou une année pour que tout se mette en place parfaitement et que nous ayons réglé l’ensemble des scénarios en fonction des saisons par exemple. La piscine, notamment, est particulièrement complexe à affiner. Et puis, il y a les retours d’expérience de nos milliers d’utilisateurs qui nous indiquent qu’une porte est dans le mauvais sens ou qu’il faut ajouter des interrupteurs, des prises électriques… Ces ajustements et calibrages sont inévitables sur un campus de cette taille

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