La prison valaisanne de Crêtelongue se veut moderne et spartiate
En Valais, la stratégie « Vision 2030 » a pour objectif de réformer le système pénitentiaire qui était plus qu’obsolète. Nouvelles constructions, réaffectations et assainissements sont au programme de ce plan ambitieux. La première étape s’est jouée à Crêtelongue, près de Sierre. Plus de 40 millions ont été investis pour édifier deux bâtiments. Au total, ce sont 80 cellules pour des détenus en sécurité basse, normale et élevée, ainsi que 24 places réservées à la semi-détention qui ont été créées.
Crédit image: Jean-A. Luque
L’édifice principal compte une tour dont les quatre étages supérieurs sont dédiés aux cellules de détention. En dessous, une galette de deux niveaux est organisée pour accueillir les parties administratives et communes avec les détenus, ainsi que les visites.
Longtemps, le Valais a été critiqué pour ses prisons d’un autre temps et ses conditions de détention. Une profonde réorganisation des établissements pénitenciers a été lancée par les autorités et la mise en œuvre de cette stratégie « Vision 2030 » est exemplaire. La première phase de cette modernisation est visible sur le site de Crêtelongue, à Granges.
La situation, il y a encore cinq ans, présentait de nombreux problèmes. Crêtelongue datant de 1931, il n’était pas étonnant que certains locaux soient pour le moins vétustes. Quant aux conditions de détention, elles laissaient à désirer notamment à cause du manque général de places à disposition et de l’exécution de certains régimes dans un établissement inadéquat.
Investissement
massif et projet final doublé
Plus de 40 millions de francs – pris en charge par l'Etat du Valais (65 %) et
l'Office fédéral de la justice (35 %) – ont donc été investis pour de nouvelles
installations à Crêtelongue. Les travaux ont duré quatre ans durant lesquels
l'exploitation des anciens bâtiments cellulaires comptant au total 53 places a
été maintenue.
Le concours d’architecture remonte à 2008 ; il a été remporté par le bureau d’architecture sédunois cheseauxrey associés SA. Initialement, il était question de n’édifier qu’un seul bâtiment accueillant 40 cellules pour des détenus en sécurité basse, normale et élevée. Mais au fil du temps de nouvelles obligations se sont imposées. Le projet final a doublé le nombre d’unités prévues à l’origine dans le bâtiment et a également vu naître un nouvel édifice de 24 places réservé à la semi-détention, au travail externe et aux courtes peines.
Crédit image: Jean-A. Luque
La surveillance est discrète, mais omniprésente. La salle de contrôle, au rez de chaussée, garde un œil sur toutes les allées et venues dans les espaces communs. En revanche, aucune caméra n’est installée dans les cellules.
Ce changement de programme a été pris en compte par les architectes : « La typologie de base du bâtiment est restée la même. Nous avons juste agrandi le tout sans modification trop importante. Concrètement, nous avons doublé le nombre de chambres par niveau tout en conservant le nombre d’étage de détention (4 étages) Nous avions une galette pour les parties administratives et communes d’un niveau ; désormais il y en a deux. Pour sa part, l’édifice supplémentaire dédié aux condamnés qui travaillent à l’extérieur la journée et dorment en prison a été pensé en lien avec le parking et sur la même typologie que le cellulaire principal. »
L’établissement pénitentiaire de Crêtelongue est composé d’une multitude de constructions – une dizaine – qui abritent des ateliers professionnels de mécanique et serrurerie, une scierie, une menuiserie... Entouré de plusieurs hectares de champs et de vignes, on y trouve également une étable pour une centaine de vaches, ainsi qu’une laiterie. Les détenus travaillent donc en atelier ou dans les champs. Les installations professionnelles de la buanderie desservent également des entreprises externes. Les plaques minéralogiques valaisannes sont toutes made in Crêtelongue.
Tout est normé,
réglementé
Le bâtiment principal trône à l’angle nord-ouest du complexe pénitentiaire, là
où s’élevait la maison du directeur qui a été démolie. Les normes fédérales de
l’Office fédéral de la justice et les demandes des utilisateurs ont été au
mieux prises en compte dans ce projet. « La surface des chambres individuelles
est de 12 m2 avec toilettes et lavabo, mais le maître d’ouvrage n’a pas voulu
de douches privées, précise Alexandre Rey. Les escaliers principaux sont
réglementés avec une largeur déterminée de 2,6 m. Avec toutes les contraintes,
notamment l’impératif d’avoir des secteurs modulables (secteur de 5 ou 10 ou 20
cellules) avec des portes qui cloisonnent les espaces, nous avons dessiné un
bâtiment fonctionnel et sans fioritures. »
Les deux niveaux de la galette sont compartimentés en deux parties, les locaux administratifs (non utilisés par les détenus) et les parties de soins et de travail (zone mixte, agents de détention et détenus). Une loge de sécurité, avec écrans reliés à toutes les caméras de surveillance, contrôle le site : les entrées séparées pour les détenus et les visites, les ateliers, la buanderie professionnelle, la cuisine, le centre de soins, le foyer commun où tous les prisonniers prennent le repas de midi...
Toute la partie ouest de l’édifice, là où se dressent les 6 étages, dont 4 niveaux de cellules, se concentre autour d’un noyau central pour la circulation verticale : ascenseur, monte-charge, escalier pour détenus, escalier de secours, les douches, les cabines téléphoniques… et sur la périphérie, les chambres, distribuées par un couloir générant également des espaces de vie utilisés comme réfectoires pour le petit déjeuner et le souper. « Les cellules rayonnent, pour profiter du paysage, autour de ce noyau central, explique Alexandre Rey. Il y en a 20 par niveau, dont une adaptée aux personnes à mobilité réduite. Elles sont un point cardinal de la conception du bâtiment. L’idée maîtresse a été que le détenu ne voit pas directement des barreaux. Ces derniers ont été remplacés par des vitrages fixes avec des verres spéciaux. Toutes ont donc une vue sur l’extérieur, un beau cadrage sur le paysage en pleine nature avec des champs aux alentours. A côté de la fenêtre, on trouve un vantail en acier galvanisé qu’on peut entrouvrir pour la ventilation au travers d’un caillebotis. »
Des stores extérieurs à lamelles permettent d’obscurcir la pièce et de se protéger du soleil rasant. Un éclairage artificiel sécurisé est bien sûr présent. Qu’il s’agisse du lit, du tabouret qui fait face à la table, tout est en béton fixe. Seules les étagères faites par les détenus dans les ateliers sont en bois. Des panneaux en fibre de bois assurent l’acoustique dans les zones communes (couloir, escaliers… et les parties administrative), alors que dans les parties privées (cellules, douches…), le béton apparent a été maintenu. Il est à noter que les détenus gèrent eux-mêmes leur cellule et disposent de la clé de leur porte qui permet également de gérer leur espace frigo et leur vestiaire, cependant la clé des agents de détention prime sur celle des détenus.
Crédit image: Jean-A. Luque
Dans cet univers de béton et d’acier, les détenus bénéficient d’une cuisine professionnelle.
Outre les cellules classiques, il existe également cinq cellules de réflexion ou d’isolement pour les détenus récalcitrants. Ces dernières ne sont pas équipées de vantaux et disposent uniquement d’une ventilation mécanique. L’extérieur de l’édifice est le témoin de ces affectations de cellules différentes. Particulièrement élégant, il se distingue par une trame de façade en béton fibré et acier galvanisé.
70 %
d’entreprises locales
Le chantier a débuté en 2020 avec les travaux spéciaux. « Nous avons été
confrontés à un sol meuble et une nappe phréatique qui affleure à 1,5 m du sol,
souligne Dario Zimmermann, architecte chez cheseauxrey associés. Il a été
nécessaire d’ancrer une centaine de pieux. Bien sûr, nous avons installé des
palplanches et rejeté l’eau. L’étanchéité est assurée par une cuve blanche et
du béton étanche. Mis à part ce point de départ un peu délicat, tous les
travaux se sont parfaitement enchaînés. » Quelque 70 % des entreprises ayant
participé au chantier sont valaisannes.
Crédit image: Jean-A. Luque
Les ateliers reproduisent le caractère architectural et fonctionnel du complexe pénitentiaire.
Une pompe à chaleur eau-eau et un groupe électrogène (en cas de blackout) sur site assurent l’apport énergétique du complexe. Etonnamment aucun panneau photovoltaïque n’est installé sur le toit de la tour ou de la galette. « Nous avons un toit végétalisé, précise Dario Zimmermann. En effet, la toiture doit disposer de surfaces libres dans le cas où des troupes sont héliportées pour intervenir dans le pénitencier. Cela compromettait la surface à disposition et surtout il aurait fallu des systèmes d’arrachement des panneaux démesurés pour résister au souffle des pales d’hélicoptère. Un champ de panneaux solaires est prévu sur les toits des futurs ateliers et alimentera notamment la menuiserie, la scierie, la buanderie ou encore la cuisine. » Fidèle à sa politique, l’Etat du Valais a tenu à ce que les normes Minergie soient respectées, sans néanmoins officialiser le label.
Les deux nouveaux établissements ont été achevés en été 2023. Et les premiers détenus ont pris leurs quartiers en septembre 2023.