15:06 ARCHITECTURE

Forage dirigé sur 860 mètres en plein Lavaux

Depuis novembre 2012, Romande Energie transforme l’installation hydroélectrique du Forestay, à Rivaz. Objectif: multiplier par sept la production actuelle pour fournir l’équivalent de la consommation de la moitié des ménages des communes de Chexbres, Puidoux et Rivaz, dont les territoires sont concernés par ce projet.

Fortement impliquée en faveur du développement de la production reposant sur les énergies renouvelables, Romande Energie a engagé l’an dernier d’importants travaux en vue de développer le potentiel de l’installation hydroélectrique du Forestay, située sur le site des Anciens Moulins de Rivaz. Pour comprendre les enjeux du chantier actuel, un bref détour historique s’impose. La force hydraulique du Forestay était déjà utilisée au Moyen Age, par une succession de moulins à eau et plus particulièrement d’un moulin situé au pied de l’impressionnante cascade formée par la rivière à la hauteur du lac. Depuis 1932, la force hydraulique est utilisée par une centrale hydroélectrique à part entière. En effet, l’installation d’une conduite d’eau sous pression et d’une turbine visant l’usage propre des moulins produisait plus de 300 000 kWh par an. Les moulins étant au fil des décennies à l’étroit, le site a été abandonné dans les années 2000. La Fondation des Moulins de Rivaz, créée à cette occasion, a décidé de détruire les bâtiments, considérés comme une verrue industrielle. A leur place, elle a initié le projet d’un centre de promotion des vins de Lavaux, le très beau Vinorama réalisé par les architectes bellerins Fournier & Macagnan. «Nous avons été approchés par la Fondation. Cette dernière nous a proposé le rachat de l’usine de production étant entendu qu’il y avait une volonté de garder une production électrique sur le site. Suite à cela, nous avons étudié une réhabilitation des lieux, à savoir un nouvel aménagement qui tirerait parti du potentiel complet de la rivière. Il faut savoir que la chute était située à la hauteur du village de Rivaz avec une chute de 63 m Or nous avons constaté qu’il y avait la possibilité de capter les eaux beaucoup plus haut, portant la hauteur de chute à 183 m. Par ailleurs, le débit d’équipement de l’installation pouvait aussi être multiplié par trois et passer de 160 l/s à 500 l/s. Trois fois plus de hauteur équivaut à trois fois plus d’électricité produite, et trois fois plus d’eau captée, lorsque la rivière est en crue, permet encore d’augmenter la quantité d’énergie produite», se réjouit Georges Locher, responsable du projet pour Romande Energie. Le projet de Romande Energie visait donc à mettre en place une unité de production utilisant l’ensemble du dénivelé à disposition, avec une nouvelle prise d’eau à la hauteur de Chexbres et un dimensionnement du captage qui rendrait possible une production annuelle de 2,6 millions de kWh. «C’est une production importante pour une très belle petite centrale hydraulique qui correspond à la consommation électrique annuelle de près de 720 ménages Les petites centrales hydrauliques ont une puissance inférieure à 10 mégawatts (MW). Une demande de concession a été déposée en décembre 2008 auprès du Service cantonal des eaux, sols et assainissements (SESA). En septembre 2010, nous avons obtenu la concession pour une durée de 60 ans. La mise à l’enquête portant sur la réalisation technique de l’ouvrage a été engagée dans la foulée pour aboutir à l’octroi du permis de construire en été 2012.», résume le chef de projet.

Nature intacte

Le projet impliquait donc la construction d’une nouvelle petite centrale hydraulique en lieu et place de l’ouvrage existant, destinée à abriter un groupe turbine-alternateur, ainsi que l’aménagement d’une prise d’eau et l’installation d’une conduite forcée. Le site étant situé au cœur de Lavaux, dans une zone classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO, le défi technique pour Romande Energie consistait donc à trouver les moyens de réaliser une telle infrastructure tout en protégeant ce site d’exception. «La principale difficulté du chantier du Forestay consistait à installer une conduite forcée du lieu de captage des eaux jusqu’à la centrale de production», explique Georges Locher. «Notre appel d’offres concernait au départ la réalisation d’une conduite forcée en surface qui s’intègre au mieux dans le paysage». L’un des consultants de l’entreprise de génie civile Wallo, Roger Hartmann, avait connaissance d’une entreprise thurgovienne, Schenk AG, à même de proposer une alternative entièrement souterraine grâce à la technique de forage dirigé.

Leur stratégie: percer d’un seul trait 860 m de long, depuis le bord du lac jusqu’à la prise d’eau, pour y glisser des tubes ayant un diamètre intérieur de 500 mm, diamètre nécessaire pour y mettre les tubes de 860 mm. «Cette technique sur une telle distance et un tel diamètre est à notre connaissance une première suisse. Elle permet de préserver au mieux le site naturel. De plus, puisque entièrement souterraine, elle ne porte aucune atteinte à ce site exceptionnel façonné par l’homme pour y cultiver la vigne... Et pour ajouter à la beauté du lieu, le débit de restitution sera modulé durant la saison touristique, en été et en journée, pour respecter l’aspect visuel des cascades», relève le spécialiste.

Plusieurs étapes sont nécessaires avant la pose de la conduite forcée. Quelques forages de reconnaissance ont été réalisés en amont pour tester la nature du sous-sol. Un sol dur est plus favorable à la réussite d’un forage dirigé. Le site se trouvant dans le soubassement du Mont-Pèlerin, il est formé par des traces du glacier du Rhône. «Les moraines se sont comprimées, le sol est donc caractérisé par un concaténé de matériaux qui sont devenus plus durs que du béton», compare Georges Locher. Le parcours du forage a été défini par Schenk AG, avec comme contrainte de rester en souterrain tout le long. Le cheminement choisi est curviligne et suit un dénivelé de 183 m.

Précision suisse

Le forage à proprement dit a démarré en mars 2013 avec un premier trou pilote de 32 cm. La tête de forage est équipée d’une sonde émettrice permettant au récepteur placé en surface d’en connaître la position. Le spécialiste à la manœuvre de la foreuse peut ainsi corriger l’avancement du travail pour aboutir à l’endroit souhaité. «La foreuse est installée à côté du Vinorama. Elle fonctionne de la manière suivante : un train de tiges équipé à son extrémité d’une tête d’usure, adaptée à la nature du terrain et munie de buses d’injection d’eau, pénètre dans le sol et actionne la tête de forage en rotation et en poussée. Au fur et à mesure de la progression, l’ensemble des tiges supplémentaires stockées à côté de la machine sont ajoutées.», détaille le chef de projet. Pendant tout ce processus, de la bentonite ou de l’eau, selon les étapes de forage, est injectée sous pression via les tiges creuses du train de forage. Ce liquide a pour effet d’actionner la tête de forage, tout en évacuant les matériaux excavés. Ces derniers sont récoltés sur le chantier par gravitation et subissent ensuite différents circuits de filtrage avant d’être évacués du site.

Quatre semaines plus tard, le 13 avril, la tête achevait sa traversée de 860 m dans la roche, sous les vignes de Lavaux. Elle émergeait à Chexbres, dans le mètre carré destiné à la future prise d’eau du lit de la rivière détournée pendant les travaux, face aux acteurs du projet, journalistes et autres curieux réunis pour l’occasion. Dans une deuxième étape, un nouveau forage en retrait a été réalisé, en alésant letrou pilote depuis l’aval, permettant d’en augmenter le diamètre du trou à 52 cm. «Nous avons eu quelques difficultés au troisième alésage, lorsque le forage s’est retrouvé dans une cavité identifiée à quelques 200 m du haut. Cette dernière a déstabilisé l’engin qui a du coup été détruit. Il a fallu repartir avec une nouvelle tête de forage amenée spécialement des Etats-Unis. Nous sommes sur le point d’achever cette dernière étape qui amènera le trou à son diamètre définitif de 86 cm. Lorsque cette troisième phase sera terminée, nous allons successivement enfiler les tubes de la conduite forcée de 500 mm de diamètre, de six mètres de longueur. De la bentonite sera injectée, mais d’une densité plus importante, pour combler l’espace restant entre la conduite et le rocher.», note le chef de projet.

En parallèle, la construction de la prise d’eau à Chexbres et du bâtiment de la centrale projetée en-dessous du Vinorama suit son cours. Dès la fin des travaux de génie civil, une turbine Pelton à trois injecteurs sera montée sur site. La nouvelle centrale hydraulique devrait être opérationnelle début 2014. (Emilie Veillon)

Maître de l’ouvrage

Romande Energie SA, Morges

Canton de Vaud

SESA Service des eaux, sols et assainissements

Ingénieur Génie Civil

RWB Vaud SA, Yverdon-les-Bains

Travaux de génie-civil et béton armé

Walo SA , St-Sulpice - Consultant: Vodoz, Vouvry

Travaux de forage dirigé

Schenk AG, Heldswil

Turbine et alternateur

GASA SA

Etude turbine

MHyLab, Montcherand

Architecture

Fournier & Maccagnan, Bex

Etude d’impact

CEP, Bex

Géologue

Bureau technique Norbert, Lausanne

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