A la découverte des cathédrales et églises brutalistes de Suisse et d'Europe
Le brutalisme fait partie de ces styles architecturaux immédiatement reconnaissables. Son apparence et sa composition sont simples : des blocs de béton en général empilés les uns sur les autres. Le photographe Jamie McGregor Smith a parcouru l’Europe pour sublimer cette architecture sacrée moderniste. Un livre magnifique et une exposition mettent en valeur son travail et le caractère futuriste de ces monolithes aussi bruts que primitifs.
Crédit image: Jamie McGregor Smith
L'église Saint-Nicolas d'Hérémence, en Valais, est sans aucun doute une des plus belles réalisations brutalistes du siècle dernier. Conçue par Walter Maria Förderer, elle a été achevée en 1971.
« Puissent nos bétons si rudes révéler que, sous eux, nos sensibilités sont fines. » Le Corbusier a élevé l’usage du béton jusqu’à son expression esthétique la plus modeste, sans prétention. Des valeurs qui épousent parfaitement celles des cathédrales et églises qui veulent magnifier le Seigneur tout en restant humble. Le brutalisme, qui tire son origine du « brut », utilisé par Le Corbusier pour désigner l’aspect sauvage, naturel et primitif du béton, a connu son heure de gloire entre les années 1950 et 1970 avant de décliner peu à peu dans les années 1980. Un photographe anglais Jamie McGregor Smith l’a redécouvert durant la pandémie et en a tiré un livre de toute beauté, ainsi qu’une exposition à découvrir à Vienne jusqu’au 4 avril.
Belles et brutales
« A l'été 2018, j'ai quitté mon domicile londonien pour m'installer à Vienne, raconte Jamie McGregor Smith. J'ai commencé par rechercher dans son architecture des indices sur ma nouvelle société. J'ai d'abord visité l'église catholique de Wotruba. J'ai été déconcerté par le fait que cette œuvre d'art progressiste ait été commandée par une institution aussi conservatrice. Elle a redéfini l'idée que je me faisais d'une église. Elle est à la fois belle et brutale. Mes recherches se sont élargies et j'ai rapidement découvert tout un mouvement d'architecture sacrée moderniste. Puis la pandémie a frappé, mon travail photographique s'est arrêté. Par miracle, j'ai découvert que les portes des églises restaient parmi les seules ouvertes. Pendant que la civilisation retenait son souffle, je naviguais silencieusement dans ces espaces peu orthodoxes et tentais de comprendre comment et qui les avait réalisés. Que l'on croie en un Dieu ou non, ils restent impressionnants. »
Crédit image: Jamie McGregor Smith
Les motifs triangulaires en béton du Templo Mariano di Monte Grisa, Trieste, Italie, ont été imaginés par Antonio Guacci. Le temple a été achevé en 1965.
C'est ainsi qu'a commencé un voyage photographique qui, en trois ans, l'a conduit des cités urbaines aux villages des Alpes suisses. Le résultat de ce pèlerinage est un livre, Sacred Modernity : The Holy Embrace of Modernist Architecture, qui présente 139 photographies de ces bâtiments impressionnants - des prouesses de sculpture, d'ingénierie et d'architecture, mais aussi des structures créées dans un but spirituel.
Suisse à l'avant-garde
La Suisse
possède quelques exemples hors normes de ces églises brutalistes. Il suffit de
penser à l’église d’Hérémence en Valais. Cette œuvre majeure d'architecture
moderne est une oeuvre d'art et une prouesse architecturale. Trop petite et
déjà fortement ébranlée par le tremblement de terre de 1946, l’église
d’Hérémence, datant de 1770, a dû être remplacée dans les années 1960. Sur les
15 projets présentés lors de la mise au concours, c’est le projet de
l’architecte et sculpteur zurichois Walter Förderer qui est retenu. Suite à
l’approbation quasi unanime des paroissiens en 1966, l’église St-Nicolas
d’Hérémence est construite de 1967 à 1971 dans une architecture massive de
béton ; le matériau brut provient du même béton qui a servi à bâtir le barrage
de la Grande Dixence quelques années plus tôt. En plus d’une prospérité
nouvelle, la construction du barrage a amené à la vallée la maîtrise des
techniques du béton armé.
Pour ce village de montagne, le sculpteur a imaginé un rocher tombé à cet
emplacement et dans lequel il aurait sculpté l’église : les formes découpées et
irrégulières symbolisent le paysage montagneux environnant. Le site, par ses
parois rocheuses, suggérait en effet un autre matériau que les poutres
vénérables qui font les chalets environnants.
Crédit image: Jamie McGregor Smith
L'église Sankt Paulus à Neuss, en Allemagne, présente un toit inhabituel, presque plié comme un origami. Elle a été conçue par Fritz Schaller et achevée en 1970.
Mais le brutalisme, selon la sensibilité des créateurs en Allemagne, en Autriche ou en Italie, se réinvente de mille manières. Il peut s’agir des motifs triangulaires en béton du Templo Mariano di Monte Grisa, à Trieste, en Italie, achevé en 1965, des intérieurs caverneux et minimalistes de la Christi Auferstehung Kirche à Cologne, en Allemagne, achevée en 1970, ou encore des vues aériennes de la structure en forme de concertina de la Mehrzweckhalle der Schulschwestern à Graz, en Autriche, achevée en 1979.
Réalité sublimée
De nombreuses églises
photographiées sont construites en béton ou comportent une forte proportion de
béton - un matériau bon marché que les architectes ont utilisé après la Seconde
Guerre mondiale pour expérimenter et tester de nouvelles conceptions
novatrices. « Les architectes ont utilisé l'expressivité du béton pour
créer des formes qui n'ont jamais été possibles auparavant, déclare Jamie
McGregor Smith. C'est ce que j'aime dans beaucoup de ces bâtiments : leur
difficulté et leur aspect irréel. Je pense qu'il s'agit de pousser les gens à
oublier le quotidien et à apprécier une réalité qui va au-delà de ce que leurs
sens peuvent normalement leur offrir. »
Alors qu'il photographiait les églises qui forment le projet Sacred Modernity, l’artiste a été frappé par le silence, sans les grandes foules ou les congrégations qu'elles auraient accueillies par le passé : « J’ai aimé photographier le calme de ces lieux. Mais pour moi, c'est une honte que ces merveilleuses icônes architecturales soient sous-estimées et inhabitées. » Avec son travail, Jamie McGregor Smith rend hommage à ces constructions divines, un moyen de ne jamais les oublier et - qui sait - les faire redécouvrir au plus grand nombre.
Le Musée international d'horlogerie de La Chaux-de-Fonds, 50 ans de béton enterré
Un livre d'art, une exposition
Quelle: Jamie McGregor Smith
Sacred Modernity: The Holy Embrace of Modernist Architecture,
publié par Hatje Cantz, est disponible.
Vous pouvez commander un exemplaire dédicacé de la première édition ou des tirages exclusifs auprès de l'auteur, ici.
En collaboration avec l'Ecole technique de Vienne, l'artiste a créé une expérience photographique immersive à grande échelle dans l'un des lieux les plus cachés et les plus remarquables de Vienne.
Sacred Modernity — Enlightening Space and Matter
est à découvrir jusqu'au 4 avril à
TVFA-Halle,
TU-Wien
Erherzog-Johann Platz 1,
1040 Vienne